Saviez-vous que 30 kilos de chocolat vous feront le même effet qu’un joint, le sucre en moins ? Que 65 % des auditeurs d’opéra avaient déjà fumé du cannabis (soit beaucoup plus que les amateurs de rap) ? Que si vous avez acheté du chanvre de Manille ou du Bengale pour le fumer, vous vous êtes fait rouler ? Non ? Alors la Petite Encyclopédie du Cannabis de Nicolas Millet, qui vient de sortir aux Éditions du Castor Astral, est faite pour vous. Entretien avec l’auteur de cet ouvrage, qui vit actuellement sur l’Île de la Réunion…
La Petite Encyclopédie du Cannabis connaît, et parle tellement bien de son sujet que c’est un régal de s’en faire l’écho dans ces colonnes. Et c’est fort naturellement qu’elle trouve sa place dans une rubrique chroniquant les livres à même d’enivrer les Révolutionnaires en Charentaises…
Marvin Flynn – Maintenant qu’il est dans toutes les bonnes librairies, pouvez-vous nous parler de vos démarches pour trouver un éditeur assez courageux pour publier un livre sur le cannabis ?
Nicolas Millet – Les éditeurs peuvent en effet parfois être frileux quand il s’agit de parler de cannabis. C’est normal et assez logique, puisque la loi est claire, mais son interprétation est en revanche assez floue : "Le cannabis, dit celle-ci, ne doit pas être présenté sous un jour favorable". Pour ce qui est des Éditions du Castor Astral, chez qui j’avais publié mes premières lignes il y a une dizaine d’années, ont accepté très rapidement le projet, sur quelques pages. Sans doute parce que le texte leur plaisait, mais sans doute aussi parce que le livre-objet que j’ai imaginé et que je leur proposais (présentation des articles sous forme de miscellanées, mise en page à la façon des encyclopédies du siècle dernier, illustrations à la manière des gravures anciennes) ne faisait absolument pas l’apologie de la substance. Il s’agissait de proposer une encyclopédie sérieuse, ludique, mais toutefois, et si possible, jubilatoire.
MF – A quelle occasion l’idée d’une telle encyclopédie vous est-elle venue ?
NM – L’idée m’est venue d’un constat, à savoir qu’il existait une littérature cannabique vaste et diverse. Cependant, celle-ci se répartissait en deux catégories : d’un côté, la littérature que j’appellerais "prosélyte", avec des textes engagés et souvent drôles, et des dessins provocateurs. Et de l’autre, des ouvrages scientifiques, bien documentés, mais sans doute un peu austères.
Il n’existait pas de livres s’amusant à rassembler tout ce que cette plante compte de faits culturels, sociaux, musicaux, historiques ou scientifiques. Et j’ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ou redécouvrir ce que cette plante a engendré comme remèdes médicaux ou comme croyances. À quel point aussi elle a influencé nombre d’écrivains ou de poètes. Combien, enfin, elle est éminemment politique et s’inscrit, de 3000 ans av. J.-C. jusqu’à nos jours, dans l’histoire.
MF – Pouvez-vous nous dire comment vous avez planifié votre projet, car il s’agissait d’un travail énorme d’investigation et de recherche ? Pour ce qui est du travail d’écriture, il a évidemment nécessité beaucoup de recherches, des heures dans des bibliothèques à recouper des informations contradictoires, à imaginer des listes saugrenues et décalée (liste de tous les vocables français désigant le cannabis, liste des ministres britanniques consommateurs, liste des sportifs arrêtés pour dopage, liste des hybrides à travers le monde, etc.). Cet amour des listes me vient du travail de l’Ou.Li.Po. et de la contrainte en général, qui est, contrairement à ce que l’on croit parfois, libératrice.
Après avoir rassemblé toutes mes notes, je me suis attelé à l’écriture proprement dite. Je voulais des textes ciselés, efficaces, si possible avec une chute, même légère. Et je souhaitais que chaque page soit autonome, que le lecteur se balade dans le livre sans être coupé dans sa lecture. Le tout avec de petites illustrations, que j’ai mis beaucoup de temps à réaliser, étant un piètre dessinateur. Ce en quoi le graphiste, Dominique Bordes, m’a été d’une aide précieuse puisqu’il a su répondre à la majorité de mes attentes. Bref, ce livre a nécessité deux ans et demi d’écriture puis six mois de composition.
MF – Mais puis-je vous poser une question que vos lecteurs eux-mêmes doivent se poser : fumez-vous du cannabis ?
NM – Non. La question ne se pose pas puisque la loi l’interdit. On peut, et c’est heureux, écrire sur l’alcool sans être un alcoolique ou sur l’héroïne sans être un héroïnomane… Et l’on peut, de la même façon, écrire sur le cannabis sans être consommateur.
MF – Vous prenez tout de même de nombreuses précautions en préambule à la Petite Encyclopédie ; les informations que tu vous nous donnez ne sont pourtant pas illégales, il n’y est nulle part question de prosélytisme envers le cannabis, mais bel et bien d’informations ; et la forme choisie – encyclopédique et richement illustrée – n’en rend la lecture que plus agréable…
NM – Oui, j’y tenais beaucoup car j’ai voulu faire un travail littéraire, plus qu’encyclopédique, finalement. Je ne souhaite pas être cantonné dans ce rôle un peu instable d’un auteur écrivant sur le chanvre. Habituellement, j’écris des textes narratifs, de la fiction et des nouvelles. C’est pour cela que je suis heureux d’être au Castor Astral qui est une maison d’édition sérieuse, qui a plus de trente ans, des centaines de titres au catalogue, et qui publie des auteurs tout à fait respectables, tels que Hervé Le Tellier, Georges Bernanos, Dominique Noguez ou Marc Villard. Avec l’éditeur, on se retrouvait totalement sur ces précautions, qui ne sont pas simplement d’usage.
MF – Mais revenons au contenu de la Petite Encyclopédie du Cannabis : vous évoquez mille expressions, anecdotes et citations que les amateurs éclairés apprécieront à coup sûr : mais comment avez-vous fait pour recenser toutes ces allusions au cannabis ?
NM – Des heures et des heures à fréquenter la BNF, la bibilothèque de Beaubourg ou Gallica. Les bibliothèques en ligne sont également, aujourd’hui, une ressource précieuse. Et j’étais guidé par le plaisir, un peu masochiste, de vouloir aller au fond des choses…
MF – On y trouve aussi et en vrac, des recettes, des listes, des schémas, des extraits d’ouvrage, le tout abordé et assemblé avec un oeil actuel et pratique ; bravo pour ce bel objet qui ornera à n’en pas douter fièrement la bibliothèque des Révolutionnaires en Charentaises. Pour conclure, pouvez-vous nous parler de cette citation de Jack Herer que vous mentionnez dans votre ouvrage. Ce militant a affirmé : "Il n’y a qu’une seule ressource naturelle et renouvelable qui est capable de fournir la totalité de papier et du textile sur la planète, répondant à tous nos besoins en termes de transports, d’industrie et d’énergie, tout en réduisant simultanément la pollution, en reconstruisant le sol, tout en nettoyant l’atmosphère… Et cette ressource – la même utilisée auparavant à cet effet – est le cannabis !"
NM – On ne peut pas donner tort à Jack Herer : en effet, sur une période de vingt ans, un hectare de chanvre produit autant de papier que quatre hectares d’arbres. Le papier de chanvre peut être recyclé de sept à huit fois comparativement à trois fois pour le papier de pulpe de bois. Cependant, Jack Herer utilisait cet argument pour appeler à la légalisation du chanvre, y compris psychotrope. Ce qui n’est pas mon propos. Pour continuer sur cette question des citations, de nombreux auteurs se sont en vérité exprimés sur le cannabis. Même François Mitterrand, dans un de ses livres, a comparé sa culture du vague à l’âme à une drogue douce et délétère. Et Nietzsche, qui a abordé tant de sujets mais pas toujours de façon judicieuse, a affirmé que lorsqu’on "veut s’arracher à une oppression insupportable, on a besoin du haschich." Mais gardons-nous de faire parler les morts : on peut ainsi faire dire n’importe quoi aux auteurs. Même à l’encontre de leur pensée réelle.
Par Marvin Flynn