J'écrivais, le 17 mai 2011, au préfet de Seine-Saint-Denis : "En une semaine, c'est la troisième fois que des tirs éclatent dans ce quartier... Il est nécessaire que les forces de l'ordre soient présentes 24 heures sur 24, comme cela a déjà été le cas, pour s'interposer par une présence dissuasive et ainsi empêcher les règlements de compte armés." Cette lettre date du 17 mai ! Avant cette date, j'avais déjà alerté, plusieurs fois, notre préfet. Pourtant, malgré une présence sporadique des forces de l'ordre, les coups de feu n'ont jamais cessé. Faute de moyens et de prise de conscience du danger par le gouvernement, tous ces appels sont restés lettre morte. Les règlements de compte se sont accrus et, avec eux, l'angoisse des habitants, la peur des balles perdues. Quatre semaines, quelques dizaines de coups de feu et trois blessés plus tard, les enseignants interdisent aux enfants de sortir pour la récréation. Il aura fallu que j'en appelle à l'intervention de casques bleus dans un communiqué de presse faisant allusion à l'armée pour qu'enfin une présence continue soit assurée dans ce quartier de Sevran. Pour combien de temps ? Telle est la question. Je pense que les pouvoirs publics n'ont pas pris la mesure de la situation à laquelle nous sommes confrontés, ni du phénomène qui voit des bandes s'affronter pour tenir des cages d'escalier afin d'assurer leur trafic de cannabis. A Sevran, comme dans de nombreuses autres communes, ces "pas-de-porte" peuvent se négocier jusqu'à 25 000 ou 30 000 euros, selon le chiffre d'affaires. Aujourd'hui, ils font en outre l'objet de luttes armées. La police travaille, mais elle ne fait que passer. Les CRS interviennent, mais ils ne font que passer. La prohibition du cannabis entraîne avec elle des conséquences, parfois inattendues, mais pourtant réelles. Au-delà des violences auxquelles nous assistons, c'est une violence quotidienne que subissent les habitants des quartiers où le trafic sévit. Les trafiquants s'en prennent aux plus démunis, aux plus jeunes, pour structurer le réseau de vente, avoir une main-d'oeuvre peu chère et créer une atmosphère de pression permanente. Le trafic engendre une économie parallèle considérable. On ne blanchit plus uniquement l'argent de la drogue dans les kébabs de banlieue, mais aussi, et surtout, dans l'économie réelle par l'intermédiaire de sociétés ayant pignon sur rue. Loi inadaptée Chaque jour, des sommes d'argent considérables sont échangées sur ces marchés clandestins. La pénalisation de la consommation du cannabis est une farce. La loi est inadaptée, son autorité bafouée : elle est inapplicable par ceux qui en ont pourtant la charge. Petit à petit la prohibition fait basculer notre système social. Par ailleurs, la banalisation du trafic d'armes de guerre entraîne la baisse de leur coût d'acquisition. La possession d'un pistolet-mitrailleur Uzi ou d'un kalachnikov devient accessible à qui le souhaiterait. Les dealers ont ainsi les moyens de s'armer jusqu'aux dents. La guerre contre la drogue, dans notre pays comme sur le plan international, est un échec. Et cet échec global a des répercussions locales immédiates. La peur s'installe. Un pouvoir mafieux transforme celles et ceux qui le subissent, et cet ultralibéralisme économique les transforme tantôt en acteurs tantôt en victimes de l'ultra-violence. Si aujourd'hui je parle de casques bleus, symbole de paix, c'est aussi pour faire prendre conscience que, dans quatre ou cinq ans, pas plus, on parlera de "groupes d'intervention militaire", tel le GIR, qui existe déjà, pour contenir le trafic dans certaines zones de notre territoire national. Il est inacceptable pour le maire d'une commune de 51 000 habitants de laisser s'installer cette société de la peur, qui place des populations affaiblies socialement et économiquement sous l'emprise de bandes armées. Je n'ai pas le droit d'abdiquer. Je dois jouer mon rôle de premier magistrat de la ville et garantir, au côté de l'Etat, la liberté de circulation et la tranquillité de mes concitoyens. Nous sommes dans un moment de ruptures, un moment-clé où des choix nouveaux s'imposent à notre civilisation. C'est en combattant cette société de la peur que nous contribuerons à régler une partie de la crise. C'est en regardant en face les problèmes que pose la drogue, en termes de sécurité et de santé publique mais aussi de démocratie et d'économie, que notre société sortira de l'emprise violente dans laquelle elle se trouve. Nous avons besoin d'une société plus solidaire, plus démocratique, respectueuse des plus démunis. Le combat est loin d'être perdu. Mais il faut être réaliste, s'armer de courage et voir au-delà de nos frontières. Les Nations unies ont publié un rapport, constatant que "la lutte contre les drogues a(vait) échoué". Nous devons en tirer les conséquences. C'est pourquoi j'en appelle à un débat national et européen sur la sortie de la prohibition, parce que je veux construire un avenir qui soit fondé sur la paix civile et sur l'Etat de droit. Je ne veux pas avoir encore, semaine après semaine, à compter les blessés et les morts, de quelque côté qu'ils soient.
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