Il s’est arrangé pour que des copains lui gardent ses poules et ses chevaux. Il a fait ses foins. Il a pas mal de choses à régler parce que, explique-t-il, «jeudi, c’est la taule». Ce n’est pas la première fois que ce néorural des Cévennes, consommateur, défenseur et longtemps revendeur de cannabis, part faire un séjour entre quatre murs. Il s’en était jusqu’ici acquitté avec la foi du militant. Mais, cette fois-ci, le «vieux dealer», comme il se surnomme lui-même bien peu prudemment, a du mal à accepter d’y retourner. Alors que la question d’une forme de légalisation du cannabis est posée par certains (rares) élus, Christian Vannier, 64 ans, doit purger une peine de deux ans de prison ferme prononcée en 2009 par le tribunal de Mende (Lozère).
Les faits - consommation et trafic de stupéfiants - remontaient à 2003, époque où il tenait à Florac un «cannabistrot», l’équivalent d’un coffee-shop hollandais. Christian Vannier y vendait tranquillement et totalement illégalement herbe et shit, à fumer sur place, en refaisant le monde et le code pénal. Jusqu’au jour où les gendarmes ont décidé de fermer l’estaminet.
Poules. Au procès de Christian Vannier, en 2009, la justice avait considéré que le sexagénaire pouvait bénéficier d’un aménagement de peine. D’autant qu’il avait déjà effectué six mois de détention provisoire au moment de son arrestation en 2003. Le juge n’avait donc pas ordonné son placement sous mandat de dépôt. Christian Vannier était retourné à ses poules, ses foins (légaux) et ses chevaux dans sa«cabaravane» cévenole. Où, insiste-il, il n’a pas revendu un gramme«depuis 2007», et clame son statut de «retraité».
Quand il a été convoqué par une juge d’application des peines pour étudier sa situation au mois de mai, il pensait que son affaire allait se régler avec un bracelet électronique, la semi-liberté (prison la nuit, liberté le jour) étant difficilement aménageable au fin fond des Cévennes. Avant son audition, une responsable du Spip (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) et des surveillants de la maison d’arrêt de Mende sont venus dans la «cabaravane» vérifier s’il était possible d’y faire fonctionner un émetteur-décodeur pour un bracelet. Vannier pensait l’affaire réglée. «Je suis allé voir la juge peinard», raconte-il.
Un peu trop peinard visiblement pour la magistrate en charge de l’application des peines à Mende qui, après l’avoir entendu plaider en son cabinet les vertus de la fumette, a refusé le bracelet électronique et ordonné illico son placement en détention. La lecture du procès-verbal laisse peu de doute sur le fait que la juge ait moyennement goûté le discours pro-légalisation du baba des Cévennes. «Le condamné n’est absolument pas dans la remise en question de son mode de fonctionnement, dénonce-t-elle. Il prône même la consommation raisonnée de stupéfiants tout en exposant une certaine éthique en ce qui concerne la revente […].Son addiction à la drogue présente un danger réel pour la société dans la mesure où il commet régulièrement des infractions à la législation sur les stupéfiants et qu’il participe par son comportement à la banalisation et à la diffusion des produits stupéfiants dans la société.»
Comité de soutien. Ces motivations font bondir Me Sylvain Cormier, l’avocat de Christian Vannier. «Il respecte le droit, il ne commet plus de délit, il a peur de la sanction, c’est là l’essentiel. On ne peut pas lui demander de renoncer à ses convictions et en faire un argument pour lui refuser son aménagement de peine, explique l’avocat, faisant le parallèle avec les faucheurs d’OGM. On peut exiger d’eux qu’ils arrêtent de détruire des parcelles, mais pas qu’ils approuvent les OGM.»
A Florac, «où les fumeurs sont quand même assez nombreux» et «les Cévenols très tolérants», explique Christian Vannier, un comité de soutien s’est monté. Une pétition circule. Le futur prisonnier a fait appel de la décision de la juge. Mais cet appel n’étant pas suspensif, il quittera jeudi matin sa «cabaravane» pour la cabane tout court.
[Source:Liberation]