Pays-Bas : Les dealers sont de retour

Au sud des Pays-Bas, le passe cannabis est devenu obligatoire afin de lutter contre le tourisme de la drogue. Résultat : les Néerlandais désertent les coffee shops. Le petit dealer et la culture maison occupent le terrain.


Dessin de Boligan, Mexique.
Dessin de Boligan, Mexique.


Dans la rue, à Tilburg. Deux inconnus l'abordent en plein jour. Ils parlent tout bas, demandent s'il veut "quelque chose". Piotr fait un signe de tête affirmatif. Le passe cannabis vient d'être instauré et il a fini sa petite réserve. Les hommes lui glissent un sachet dans les mains. Un échantillon, avec une carte et un numéro de téléphone. "Essaie d'abord", disent-ils. Il pourra appeler ensuite. Le cannabis est gratuit.


Le passe cannabis a été instauré le 1er mai dans les trois provinces méridionales des Pays-Bas. Les coffee shops ont dû devenir des clubs fermés, dont seuls des Néerlandais peuvent devenir membres. La mesure a pour but de brider le tourisme de la drogue en provenance de Belgique et d'Allemagne. Le 1er janvier, le passe cannabis sera instauré dans l'ensemble des Pays-Bas. En fait de passe, il s'agit d'un système d'enregistrement, une carte de membre. Chaque coffee shop peut inscrire 2 000 Néerlandais.
"Pas question de m'enregistrer"
Chez The Grass Company, une chaîne de quatre coffee shops à Bois-le-Duc et Tilburg, consommateurs, personnel et gérants en subissent les conséquences. Piotr était un client régulier à Tilburg. "Un endroit sympa pour un bon café et un petit  joint", dit-il. Mais se faire enregistrer comme consommateur de cannabis, c'est trop : "Bientôt, mon assurance-santé pourra examiner les listes d'inscription des coffee shops et cela augmentera ma cotisation. Merci bien."
Maintenant qu'ils doivent se faire enregistrer, les consommateurs de cannabis du Limbourg, du Brabant-Septentrional et de Zélande évitent les coffee shops. Le directeur de The Grass Company, Marco de Jong, remarque que ce sont justement les Néerlandais qui ne viennent plus, alors que la réglementation visait les étrangers. Il a fait le calcul : en janvier, un peu plus de 100 visiteurs par heure entraient dans son coffee shop,situé sur la Spoorlaan à Tilburg. Désormais, il n'y en a plus que 16.
Selon l'Association pour la levée de l'interdiction du cannabis (VOC), ces chiffres correspondent à peu près aux moyennes de la région frontalière, où environ 20 % des visiteurs de coffee shops provenaient de l'étranger. Mais selon Derrick Bergman, membre du VOC : "Actuellement 80 % des clients ont disparu. Ce qui signifie qu'un groupe important de Néerlandais refuse de se faire enregistrer."
Efficace contre les touristes...
Pour Ivo Opstelten, ministre de la Justice néerlandais, les premiers résultats du passe cannabis sont positifs. L'instauration se déroule "conformément aux attentes", a-t-il déclaré début juin à la Chambre des députés. Le commerce de rue a effectivement augmenté, mais de façon "gérable", tandis que "l'instauration a déjà entraîné une forte diminution du nombre de touristes de la drogue".
Les petites rues derrière le Grass Company de l'Emmaplein, à Bois-le-Duc, sont animées. Mark, un salarié, raconte que le quartier est "redevenu comme autrefois". "Il avait autrefois très mauvaise réputation, essentiellement à cause des dealers qui s'y trouvaient. Ils sont de retour. Les voitures immatriculées à l'étranger qui venaient dans notre coffee shop, vont maintenant dans ce quartier."
Dans les coffee shops, c'est le calme plat. On a résilié les abonnements aux journaux, les cuisines ont été fermées et les heures d'ouverture réduites. Marco de Jong, le directeur, raconte que le chiffre d'affaires a fortement diminué. "Sur les 73 salariés, nous devons en licencier 50." Plus de 600 salariés de coffee shops ont déjà été licenciés dans le Limbourg, le Brabant-Septentrional et la Zélande, d'après des chiffres de la Fondation de défense des intérêts du personnel des coffee shops des Pays-Bas (SBCN).
... Radical contre les Néerlandais
[Début juillet], Nicole Maalsté, criminologue à l'université de Tilburg, et le chercheur Rutger Jan Hebben sont arrivés à la conclusion que le passe cannabis "a raté son but". A la demande d'une fondation dirigée par un groupe d'exploitants de coffee shops, ils ont étudié les conséquences du passe cannabis et ont découvert que le commerce illégal a fortement augmenté. De plus, écrivent-ils, il s'est créé un "important réseau caché" de numéros que l'on peut appeler pour se faire livrer du cannabis.
Quand on demande aux propriétaires de coffee shops où sont passés leurs clients, ils donnent deux réponses : "commerce de rue" et "culture à domicile". Les propriétaires de grow shops, les magasins qui vendent des produits pour la culture à domicile (à grande échelle) de cannabis, confirment ces soupçons.
Marco, consommateur de cannabis et ancien client régulier de The Grass Company, a trouvé une autre solution. "De temps en temps, nous nous rendons avec un petit groupe d'amis à Nimègue et nous faisons le tour de quelques coffee shops. On peut acheter cinq grammes dans chacun d'entre eux. Cela permet de se refaire une réserve en un rien de temps", dit-il.
En 2013, lorsque le passe cannabis national sera instauré, ce ne sera plus possible. Marco, comme Piotr, se débrouillera quand même. Si ce n'est pas dans les coffee shops, ce sera dehors. Du moment qu'il n'est pas obligé de s'enregistrer comme consommateur de cannabis. Il conclut : "Cela me fait penser à la prohibition aux Etats Unis. C'était l âge d'or. Pour la mafia !"

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