C’est un intéressant cas d’école, appuyé sur une histoire vraie, qu’a exposé dimanche dans le Washington Post le chroniqueur sarcastique Gene Weingarten. Avec cette question en toile de fond: un journaliste peut-il accepter un joint, et donc commettre un délit, s’il pense que cela lui permettra d’avoir une info importante? Les faits, tels que Weingarten les relate, sont les suivants. Un journaliste du Washington Post (en fait Weingarten lui-même, en 2004, comme il l’admet dans les commentaires de son article) est envoyé trois jours dans une ville du Midwest pour enquêter sur un homme ordinaire, appelé « Bob », pris dans une affaire d’importance nationale. Au second jour, les choses n’avancent pas: Le journaliste « sent que Bob ne lui fait pas assez confiance pour se confier. Le problème, selon le journaliste, est culturel. Bob et lui sont d’origine très différentes, avec des niveaux différents d’éducation et de sophistication ». Le troisième jour, Bob invite le journaliste à un barbecue avec des amis. Et sort une pipe de marijuana. Il fume puis la tend à notre sympathique journaliste. Lui-même ancien fumeur, ce dernier sait qu’il pourrait fumer et continuer à travailler sans problème. Personnellement, il ne voit rien d’immoral à fumer du cannabis. Seulement voilà, le Washington Post a une règle intangible: un reporter en mission ne doit en aucun cas enfreindre la loi, sous peine de renvoi. D’un autre côté, le reporter « sent que s’il refuse la pipe, il perd sa dernière chance d’établir la confiance qu’il espère »… Et Gene Weingarten de proposer à ses lecteurs un petit sondage avec six attitudes possibles: Il doit refuser et suivre les règles de son employeur en toutes circonstances, la loi c’est la loi Il doit refuser parce qu’il ne sera plus en état de travailler après Il doit refuser parce que ce serait mentir à sa source que de fumer uniquement pour le mettre en confiance Il doit refuser parce que ça donnerait à la source un moyen de chantage à l’avenir, s’il n’aimait pas l’article par exemple Il doit refuser pour l’ensemble de ces raisons Il doit accepter car ce n’est qu’une entorse mineure et que son but est de ramener l’histoire. De deux maux, il doit choisir le moindre. Bien sûr le questionnement éthique de l’auteur et sa moralité sont tout à son honneur. Et il n’est pas inintéressant en tant que journaliste de s’arrêter sur ce genre de dilemmes: peut-on se faire passer pour un autre pour obtenir une info que l’on aurait pas sans cela? Peut-on filmer quelqu’un à son insu pour apporter la preuve de ce que l’on cherche à démontrer? Peut-on utiliser une information obtenue dans un cadre strictement privé?… Confronté à ce genre de situations, chacun d’entre nous se détermine au gré des situations, des enjeux et de l’importance de l’entorse comparée à l’importance de l’information que l’on espère en retirer. Même si, officiellement, la charte de devoirs professionnels des journalistesapporte une réponse précise (mais toute théorique) à quasi toutes ces situations pour rester un journaliste « digne de ce nom ». Mais pour être honnête, peu de journalistes en connaissent réellement le contenu et les débats se référant à la charte sont l’exception dans les rédactions. Reste donc le libre-arbitre de chacun de nous en essayant au mieux de concilier théorie et pratique. Ainsi, au moins deux autres portes de sortie possibles me sont apparues à la lecture de cet article. D’abord, de créer la confiance en parlant d’un consommation passée de cannabis, d’anecdotes en tous genres dont raffolent la plupart des fumeurs… mais de prétendre que pour des raisons de santé, tout cela n’est plus qu’un souvenir. C’est certes mentir, mais ce n’est pas agir illégalement tout en se donnant une chance d’obtenir l’info… L’autre solution présente l’avantage d’être très américaine, et même « présidentielle ». C’est la solution « à la Bill Clinton ». En prenant la pipe pour faire semblant de fumer, mais sans avaler la fumée, le journaliste ne commet aucun crime (il n’a pas fumé) mais rassure son interlocuteur… Le candidat à la Maison Blanche Bill Clinton était finalement un peu confronté à la même situation lorsqu’en 1992 il prétendit avoir fumé, mais ne pas avoir avalé la fumée: s’assurer la sympathie des libéraux, ne pas (trop) mentir et ne pas avouer avoir fait quelque chose de contraire à la loi. Quoi qu’il en soit, les lecteurs du Washington Post,eux, ont tranché: 52% estiment qu’il devait fumer pour établir un lien de confiance. Seuls 10% ont estimé qu’il ne devait pas fumer parce qu’il n’y a pas d’entorse mineure à la loi. Assez rassurant finalement. Arnaud Aubron [Source:Les inrock]
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