Politique antidrogues : à l'Est, du nouveau !

Depuis le 1er juillet, la Pologne préside l'Europe avec une réputation ultraconservatrice sur les questions de société. Pourtant ses dirigeants viennent d'assouplir la répression contre les usagers de drogues, démontrant ainsi que ce débat y est plus ouvert et moins politiquement clivé qu'en France.

Depuis dix ans, la Pologne leur a appliqué la législation la plus répressive de l'UE. Son impact social et sanitaire a été très négatif.

Sous la pression de militants de la société civile, avec 80 000 partisans sur Facebook, le soutien du principal quotidien et de nombreuses personnalités de tous horizons, le Parlement (de droite) et le Président (centre-droit) ont promulgué un amendement établissant une plus grande distinction pénale entre les usagers et les dealers. La Pologne a ainsi fait le premier pas vers une politique pragmatique fondée sur des données scientifiques et non plus sur des peurs irrationnelles.

Les réformateurs devront encore plaider pour convaincre l'opinion et les décideurs polonais de reproduire l'expérience tchèque, le système le plus réaliste à l'égard de l'usage de stupéfiants. Le pays devra aussi résister aux pressions prévisibles du duo franco-russe qui depuis le G8 de Deauville semble remplacer les Américains à la tête de la guerre à la drogue.

Du désir de liberté à la peur généralisée

Sous le communisme, la Pologne avait une des lois les plus progressistes d'Europe. Par exemple l'usager dépendant n'était pas poursuivi.

Après la chute du Mur, toutes les valeurs de l'ancien régime ont été contestées. À partir de 1997, cette vague conservatrice s'est accentuée jusqu'au passage de 2000 à 2001 de Lech Kaczynski au ministère de la Justice.

Pour cette élection, puis pendant sa conquête et son exercice du pouvoir, jusqu'à aujourd'hui avec son parti populiste Droit et Justice, le pouvoir a utilisé les usagers de drogues pour faire peur aux électeurs et revendiquer une politique sécuritaire très répressive.

Dans l'ancienne version de la loi adoptée sous son ministère, la détention de stupéfiant, quel que soit la quantité et le produit, entraînait automatiquement une inculpation pénale avec une peine maximum de trois ans d'emprisonnement. La Pologne a donc longuement testé la tolérance zéro. Sans succès notable.

Pas l'impact escompté sur le trafic

La police avait fortement soutenu cette stratégie, affirmant qu'elle allait faciliter la répression du trafic. Depuis son adoption, les procédures pour détention de petites quantités ont augmenté de 1 500 % et les procédures pour trafic ont diminué de 50%.

Les fonctionnaires de police sont évalués et donc promus selon leurs résultats chiffrés. Il est bien plus rentable d'organiser la chasse aux fumeurs de joint que de démanteler des réseaux mafieux. On fait ainsi grimper le taux d'élucidation sans s'attaquer à la vraie criminalité.

En France, la Cour des comptes vient de dénoncer ce type de mystification dans son évaluation de la politique sécuritaire.

Pour une première infraction ou une dose minime, la peine prononcée est généralement assortie d'un sursis et d'un casier judiciaire criminel de cinq ans aux conséquences à long terme injustement discriminantes. Il devient très difficile de voyager, d'étudier ou d'immigrer, notamment aux Etats-Unis, ainsi que d'occuper un poste dans la fonction publique.

Une punition disproportionnée

Ce marquage constitue aussi un gros handicap pour un emploi dans le secteur privé. Abusivement appliquée à cette période décisive de l'existence, cette loi a gravement compromis l'avenir d'une partie de la jeunesse polonaise. Elle a souvent entraîné une marginalisation durable au prétexte de réprimer la possession de cannabis.

Les usagers dépendants ont été encore plus durement affectés, la fréquentation quotidienne des dealers augmente considérablement leur probabilité d'interpellation. En cas de récidive, les peines s'additionnent et deviennent automatiquement exécutoires.

Le système judiciaire polonais est très lent, pas totalement informatisé. Avec l'ancienne loi, les condamnations pour quelques doses s'accumulaient et de nombreux usagers étaient rattrapés par de longues peines alors qu'ils n'étaient plus dépendants et en voie de réinsertion. De plus, l'inscription dans un traitement comportait le risque d'être repéré et incarcéré. Cet effet très dissuasif rendait impossible le traitement efficace de l'addiction.

La dépénalisation s'invite dans le débat

Le nouvel amendement permet aux procureurs de suspendre les poursuites pénales dans trois cas :

  • saisie d'une petite quantité ;
  • première infraction ;
  • usager dépendant.

L'étape suivante consiste à s'assurer que cette opportunité soit massivement saisie par les tribunaux. En France par exemple, la circulaire Pelletier de 1978 fut conçue par le gouvernement dans le même esprit et jamais vraiment appliquée.

Les réformateurs plaident maintenant pour une dépénalisation systématique dans ces trois cas et pour porter les limites de la possession publique et de l'autoproduction des différentes substances jusqu'aux quantités très réalistesadmises depuis plus d'un an en République tchèque. Ils s'appuient fortement sur le rapport de la Global Commission on Drug Policy qui préconise l'expérimentation de toutes les politiques de régulation légale des drogues.

Dans le débat français enfin réanimé ces derniers mois, le rapport de la commission d'enquête parlementaire sur la toxicomanie, les déclarations du gouvernement et des principaux prohibitionnistes, l'argumentaire de la Mission interministérielle pour la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) prônent un renforcement de la répression des usagers et la poursuite de la guerre à la drogue.

Ils affirment aussi que les réformes engagées dans d'autres pays, y compris les plus libéraux, vont toutes dans ce sens. C'est très contestable pour les Pays-Bas et totalement faux pour la Pologne et la République tchèque. Ces pays démontrent qu'une autre politique des drogues est possible.

Laurent Appel, journaliste à Asud (Autosupport des usagers de drogues) ; Kasia Malinowska-Sempruch, directrice du programme mondial pour la politique des drogues (fondation Open Society).

Par Laurent Appel

[Source:RUE89]

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