Les Pays-Bas s’interrogent sur leur tolérance du cannabis

Pour enrayer le tourisme de la drogue et lutter contre le trafic, le gouvernement remanie sa traditionnelle politique de tolérance envers les drogues douces
Amsterdam et Maastricht (Pays-Bas)
 De notre correspondante  
Dans une des rues principales du fameux quartier rouge, en plein cœur d’Amsterdam, le « Hunter’s A’dam » ne désemplit pas. Ses clients, de toutes nationalités, très jeunes pour la plupart, viennent dans l’établissement à plusieurs, pièces d’identité à l’appui pour prouver qu’ils sont majeurs.
Le wiet  (cannabis, en néerlandais) s’achète directement au bar. Les variétés disponibles et la liste des prix sont clairement affichées sur les écrans du comptoir. Il leur en coûtera de 5 à 10 € pour un joint, un peu plus cher pour un petit gramme – pesé scrupuleusement – de marijuana en vrac, selon qu’il s’agisse de « Bubble Gum », de « Choco haze » ou d’une autre des nombreuses variantes disponibles.
Une fois la marchandise payée, tables et canapés sont à la disposition des consommateurs pour « une petite fumette tranquille » autour d’un thé.
Comme dans les 220 autres coffeeshops amstellodamois qui ont pignon sur rue, le commerce du « Hunter’s A’dam » est un commerce légal, néanmoins très strictement encadré par les directives du ministère public néerlandais : un stock maximal de 500 grammes de cannabis dans l’établissement, pas plus de 5 grammes vendus par personne majeure et par jour, aucune drogue dure ou chimique, aucune publicité et aucun mineur dans les locaux
Et dans ce quartier, étroitement surveillé par les caméras et les patrouilles policières, les contrôles des stocks sont fréquents et les risques gros en cas d’infraction. « Ilya » – c’est son pseudo –, la trentaine avenante, tient l’établissement depuis quatre ans.
Il n’hésite pas à vanter « les vertus thérapeutiques et médicales d’une consommation modérée de chanvre »  et à louer le mérite de « l’approche pragmatique  néerlandaise  en matière de drogues douces, qui a consisté depuis les années 1970 à dépénaliser leur consommation, pour éviter aux utilisateurs d’entrer en contact avec les dealers du circuit criminel des drogues dures ».  
Sur la manière dont il approvisionne sa boutique, Ilya est, en revanche, beaucoup plus évasif. Car, contrairement à une idée reçue, la culture et la vente en gros de cannabis restent, comme pour toutes les drogues, illégales aux Pays-Bas. Certains types de cannabis sont importés du Maroc, du Liban ou du Pakistan.
Mais, depuis quelques années, le cannabis directement produit sur le sol hollandais – le nederwiet  – est devenu de plus en plus populaire. Selon la police néerlandaise, il y aurait de trente à quarante mille plantations illégales de cannabis dans le pays, 
et la vente en gros de cette drogue rapporterait chaque année de 2 à 5 milliards d’euros à des groupes criminels. Or, selon un rapport d’experts scientifiques présenté cet été au Parlement néerlandais, le nederwiet aurait un taux beaucoup trop fort de tétrahydrocannabiol (THC) – la molécule dont dépend l’intensité des « effets psychoactifs » – pour pouvoir être conservé sur la liste des drogues douces.
La réponse gouvernementale ne s’est pas fait attendre : le 7 octobre dernier, le gouvernement néerlandais a annoncé l’inscription du « cannabis fort » sur la liste des drogues dures et a décidé de procéder à des changements législatifs pour qu’il soit interdit à la vente dès le printemps prochain.
« Ilya » a du mal à croire que la mesure entrera en vigueur. Et, le cas échéant, il ne voit pas encore quelles sortes de hash et de cannabis devront disparaître de son comptoir. Mais il trouve la décision gouvernementale incohérente : « Le  nederwiet  est certes trop fort, mais c’est ce produit que nos clients veulent. Comment lutter ? Je ne peux pas contrôler la qualité du cannabis avant que celui-ci ne se trouve dans ma boutique, puisque ce n’est que dans ma boutique que l’État en tolère la présence. » « Jusqu’où ira l’hypocrisie de cette politique de tolérance ? renchérit Marc Josemans, président de l’association des coffeeshops de Maastricht. Le gouvernement sait parfaitement que de 80 à 90 % du cannabis que nous vendons sont produits illégalement sur le sol néerlandais. Nous soutenons évidemment l’idée d’imposer un contrôle à la source. Mais il faut pour cela une légalisation de la culture, qui permette d’imposer des normes qualitatives, sans quoi nous n’aurons plus qu’à fermer nos établissements. »  
Fermer les coffeeshops ? Il en a été régulièrement question, en effet, ces dernières années, notamment dans les provinces néerlandaises proches des frontières, où les autorités locales doivent faire face à des « plaintes pour nuisance » de plus en plus insistantes de la part d’habitants lassés des « touristes de la drogue ». Certains maires ont franchi le pas, comme à Breda ou à Bergen-op-Zoom (Province du Brabant).
Dans d’autres municipalités, les coffeeshops commencent à s’imposer eux-mêmes « des restrictions pour survivre », à l’instar de Maastricht (Limbourg) où, depuis le 1er  octobre, les quatorze établissements de la ville appliquent le critère dit « des pays limitrophes », en n’admettant désormais que les personnes résidant aux Pays-Bas, en Belgique ou en Allemagne.
Dans une lettre adressée au Parlement le 26 octobre, le ministre de la sécurité et de la justice, Ivo Opstelten, propose de mettre un terme définitif à la « politique des portes ouvertes » en transformant, dès le 1er  janvier prochain, les établissements des trois provinces du sud du pays (Brabant, Zélande et Limbourg) en clubs privés dont l’accès serait, sur la base d’un système de « cartes clients », réservé aux membres affiliés, impérativement domiciliés aux Pays-Bas. Une mesure qui serait ensuite, en janvier 2013, étendue à l’ensemble des coffeeshops du pays.
Dans son programme de gouvernement de septembre 2010, l’actuelle coalition avait également envisagé de fermer les établissements situés à moins de 350 mètres des écoles. Mais toutes ces propositions ne recueillent pas l’assentiment de tous les partis, notamment à gauche.
« Nous suivons le gouvernement dans sa lutte contre les nuisances et la criminalité, mais ces mesures-là nous paraissent contre-productives, explique Bartho Boer, porte-parole du maire travailliste d’Amsterdam. Chaque année, un quart des quatre millions de touristes qui visitent Amsterdam passe par les coffeeshops.
En interdire l’accès aux étrangers signifie reporter le commerce dans la rue, avec tous les risques que cela comporte. Pour ce qui est des mineurs, en un an nos services de contrôle n’en ont débusqué que 9 dans les coffeeshops amstellodamois ; la fermeture de 180 établissements situés trop près des écoles n’est donc pas, selon nous, la réponse adéquate. »
Recriminaliser la consommation de drogues « douces », ou au contraire légaliser la culture du cannabis pour mieux la contrôler ? L’avenir de la politique de tolérance en vigueur depuis plus de trente ans aux Pays-Bas divise l’opinion et la classe politique néerlandaises.
Certains regrettent aussi que d’autres pays européens n’aient pas mis sur pied un système de vente légale de produits de cannabis qui pourrait éviter l’afflux vers les Pays-Bas de consommateurs étrangers. Mais Bartho Boer balaie l’argument : « Nous n’avons absolument aucune leçon à donner aux autres pays européens en la matière. Il nous paraît toutefois évident que, en Europe, la problématique doit être désormais gérée de façon concertée. »  
RAPHAËLLE D’YVOIRESource:Lacroix

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