La consommation de cannabis serait décriminalisée de facto

«Il est possible de consommer du cannabis de façon régulière pendant plusieurs années tout en étant bien intégré socialement et sans être inquiété par les forces de l'ordre», affirme de but en blanc Serge Brochu.

Le vice-recteur adjoint aux relations internationales et chercheur associé au Centre international de criminologie comparée de l'Université de Montréal a participé à une étude qui se penche sur les connaissances et les opinions des consommateurs de cannabis à propos de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

La recherche a été menée auprès de 166 consommateurs de cannabis résidant à Halifax, Montréal, Toronto et Vancouver. «Généralement, nous étudions deux profils typiques de consommateurs: les adolescents et les marginaux, explique M. Brochu. Nous voulions ici entrer en contact avec les autres, c'est-à-dire ceux qui sont bien intégrés à la société et qui consomment du cannabis comme d'autres boivent un verre de vin après le travail.»

En effet, tous les sujets de l'étude ont un emploi stable ou étudient à temps plein. Ils demeurent au même endroit depuis au moins les six derniers mois. La moitié a fait des études universitaires.

Leur historique de consommation est éloquent. Ils ont fumé leur premier joint vers 15 ans et n'ont pas cessé depuis. La plupart ont révélé qu'ils ont l'habitude de consommer environ deux joints par jour et qu'ils s'y adonnent surtout à la maison, chez des amis ou à l'occasion de fêtes. Enfin, 40 % d'entre eux ont dépensé plus de 50 $ pour du cannabis le mois précédant leur entrevue avec les chercheurs.

Seulement 10 % des participants ont été appréhendés pour possession simple de stupéfiants. Une découverte étonnante, selon Serge Brochu. «C'est très peu compte tenu de la régularité de leur consommation, estime-t-il. Les autres n'ont sans doute jamais eu de problèmes, car ils fument en respectant certaines normes sociales. Comme pour l'alcool, ils ne consomment pas au travail et, comme pour la cigarette, ils ne s'allument pas un joint dans la voiture.»

Serge Brochu

Serge Brochu

Ceux qui se sont frottés au système pénal connaissaient beaucoup mieux la loi que les autres. En fait, la quasi-totalité des sujets ignorait tout de la loi régissant les stupéfiants. Certains croyaient même que l'usage du cannabis était toléré.

Cette méconnaissance de la loi serait attribuable à la décriminalisationde facto de la consommation de cannabis. D'après un participant, il y a une différence fondamentale «entre ce qui est écrit sur papier et ce qui se passe sur le trottoir», c'est-à-dire entre la loi et son application. «Les policiers utilisent leur pouvoir discrétionnaire: ils n'arrêteront pas un citoyen qui fume un joint sur son balcon», remarque M. Brochu.

La vaste majorité des sujets ont été choqués quand les chercheurs leur ont lu les peines imposées pour possession simple. «Dures», «excessives», «absurdes», «injustes» et «ridicules», ont-ils commenté. Pour eux, la consommation de cannabis est un choix personnel et devrait être permise au même titre que celle de l'alcool et du tabac. Ils ajoutent que la loi ne correspond pas aux attitudes et valeurs libérales des Canadiens.

Des politiques désuètes

La consommation de cannabis est interdite au pays depuis 1923. Pourtant, en 2007, trois millions de personnes déclaraient en faire usage, selon Santé Canada. Cette habitude est désormais banalisée dans les médias de masse. Même les policiers ferment les yeux, car «ils ont mieux à faire», ainsi que le soulignait un participant. Et depuis 2001, la marijuana peut être employée à des fins médicales.

N'est-il pas temps de décriminaliser l'utilisation du cannabis? «Il faut assouplir nos politiques, va jusqu'à dire Serge Brochu. Ça n'a aucun bon sens de conserver une loi qui, suivant nos résultats, n'est pas respectée par les citoyens et n'est pas appliquée par les policiers. À mon avis, ils ont tous raison d'agir ainsi.»

Le chercheur rappelle qu'en 2002 une commission parlementaire s'est prononcée pour la décriminalisation de la possession de cannabis et qu'une commission sénatoriale a même suggéré d'en légaliser la consommation.

«Je pense que la population est prête à accepter la décriminalisation, juge-t-il. On ne voit plus le consommateur de cannabis comme un pauvre drogué qui finit inévitablement par prendre de l'héroïne. Nos participants en sont d'ailleurs la preuve.»

Les principaux intéressés préfèrent toutefois le statu quo. «La situation actuelle leur est favorable, signale M. Brochu. Certains craignent même que la légalisation entraine une lourde taxation du cannabis, ce qui ferait grimper les prix. D'autres pensent que cela minerait les cultures locales ou autres.»

Ils n'ont rien à craindre cependant, puisque, comme le mentionne Serge Brochu «si l'on se fie aux dernières années, le gouvernement conservateur n'a pas tendance à aadoucir les lois...».

Marie Lambert-Chan

[Source:Nouvelle.Umontreal]

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