Californie : la prohibition en sursis?

La Californie est à huit semaines d'un vote qui fera probablement date dans l'histoire de la prohibition. Le 2 novembre 2010, ses électeurs seront appelés aux urnes pour choisir deux nouveaux gouverneur et sénateur, mais ils devront également se prononcer sur la désormais célèbre proposition 19 : le Regulate, Control and Tax Cannabis Act of 2010. Décryptage.

En cas d'adoption, cette proposition initiée par un groupe de citoyens (433 000 signatures requises, plus de 700 000 récupérées) aura selon les juristes de l'état de Californie, plusieurs conséquences.

Tout d'abord la consommation de cannabis pour usage personnel sera légalisée. Les personnes majeures de plus de 21 ans, auront le droit de posséder sur eux jusqu'à une once (28g) de marijuana, de la consommer dans les lieux privés et dans les lieux publics possédant une license, et de la cultiver au domicile privé sur une surface allant jusqu'à 750 cm2.

Par ailleurs les gouvernements locaux (villes et comtés), auront la possibilité de réguler tous les aspects de la commercialisation du cannabis : taxes, conditions de culture et de transport, réglementation sur les emplacements des points de vente et leurs horaires d'ouverture.

Le volet repressif n'est pas oublié, puisqu'il sera interdit de vendre du cannabis aux mineurs, de conduire un véhicule sous influence, et de transporter du cannabis vers d'autres états ou pays. Les contrevenants s'exposeront à des peines de prison pouvant aller jusqu'à 7 ans. De plus, un employeur aura le droit d'interdire l'usage du cannabis à un employé dans le cas où celui-ci verrait ses performances diminuées dans son travail.

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On le voit, cette proposition est très loin d'une légalisation sauvage et incontrolée. Elle est officiellement promue par le groupe "Vote Yes on 19" (http://yeson19.com/). Pour convaincre les californiens de la nécessité de basculer d'une prohibition à une régulation, ils s'appuient principalement sur trois arguments.

Premier d'entre eux : en Californie il est aujourd'hui plus simple pour les mineurs d'acheter du cannabis que de l'alcool. Sortir la vente de cannabis de la clandestinité, par nature sauvage et invisible, vers une régulation controlée et visible, permettrait ainsi de mieux protéger les enfants.

Deuxième argument : la prohibition a créé un marché criminel et violent, dirigé par des mafias internationales. Aux USA, 60% des revenus des cartels est tiré du marché du cannabis : une régulation contrôlée aurait pour effet d'assécher significativement cette source de profit et de diminuer les violences liées aux trafics.

Troisième argument : la fin de la prohibition permettrait de récupérer pour l'état de Californie plusieurs centaines de millions de dollars par an. Par les taxes tout d'abord : avec un marché estimé à 14 milliards de dollars, elles pourraient rapporter 1,4 milliard chaque année. Par les économies ensuite : la police gaspille aujourd'hui de précieuses ressources à poursuivre de simples consommateurs. En 2008 elle a procédé à plus de 60 000 arrestations pour consommation illégale de cannabis.

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Les opposants à cette loi, les "No on Prop19" ont une vision diamétralement opposée. Selon eux la proposition 19 amenera une banalisation du cannabis, provoquant une augmentation de la consommation chez les jeunes. Par ailleurs ils pensent que l'on ne verra aucune baisse de la violence, et que le nombre d'accidents de voiture liés à la prise de cannabis augmentera dramatiquement. Enfin ils estiment que l'argent public économisé d'un côté sera dépensé de l'autre pour la prise en charge des nouveaux usagers nécessitant des traitements. En conséquence ils demandent le maintien pur et simple de la prohibition.

Il est frappant de voir à quel point les deux camps souhaitent exactement la même chose : protection des enfants, baisse de la violence, préservation des finances publiques. Même objectifs donc, mais une interprétation des faits différente, amenant à des positions opposées.

Les promoteurs de cette proposition ont pour eux un fait solidement établi. C'est un point difficile à contester : après 50 années de guerre contre la drogue, la prohibition est un échec cuisant. Elle n'a empêché ni la consommation, ni l'enrichissement et le développement des mafias, ni la baisse du prix des drogues. La situation ne cesse même d'empirer. S'il y a 20 ans les pays membres de l'ONU se fixaient encore comme objectif l'éradication totale des drogues dans le monde, aujourd'hui l'ONUCD ne se fixe plus comme but que la stabilisation de la consommation. La guerre contre la drogue ne sera jamais gagnée, les états l'ont compris.

Enfin, la Californie a prouvé sa capacité à faire exister le cannabis au sein de la société de façon légale et régulée. En effet, en 1996 elle fut, grâce à une consultation populaire de ce type, le 1er état des Etats-Unis à légaliser le cannabis médical (13 autres ont suivi depuis). Les Californiens disposent donc de 14 années de recul pour se forger une opinion sur la dangerosité supposée de toute autre politique que celle de la prohibition.

Et justement, où en est l'opinion? Le débat est vif, et à moins de 2 mois du vote, le oui fait la course en tête. D'après un sondage USA Survey, au début de ce mois 47% des votants étaient certains de voter oui à la proposition 19, pour 43 % de Non, et 10% d'indécis (marge d'erreur +- 4,2%). A noter qu'en avril 2010, lors du 1er sondage après validation de la proposition, le oui l'emportait avec 56%, et oscille depuis entre 44 et 52%. Le non est lui parti de 42%, et est monté jusqu'à 48%.

Si les républicains de Californie se sont clairement exprimés contre la proposition 19, les démocrates ont eux décidé de ne pas prendre position. Une façon de s'en remettre aux électeurs. Ces derniers feront-ils preuve d'autant d'audace qu'en 1996? Réponse très prochainement.

[source:mediapart]

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