« Dépénaliser l'usage privé chez l'adulte redonnerait à la loi sa légitimité naturelle »


Dépénaliser doit contribuer à mieux réguler les usages de substances psychoactives. Pas à supprimer règle et contrôle, à en banaliser l'accès au nom d'une logique libérale, la seule loi de l'offre et la demande servant de règle, ou d'une naïveté libertaire, refusant de limiter au nom de la liberté. Mais il faut aussi tirer les leçons de l'échec de la logique prohibitionniste de « guerre à la drogue ». Elle coûte cher. Elle est responsable d'une dégradation de la démocratie dans les pays producteurs et a conduit les pays « consommateurs » à emprisonner plus d'usagers ou de petits revendeurs que de trafiquants (comme l'a souligné un rapport de la Cour des comptes en juillet 2011) sans y avoir empêché l'augmentation des usages, la baisse d'un produit étant annulée par la hausse d'un autre, dans un effet de déplacement.
La priorité est d'adapter les réponses aux caractéristiques de nos sociétés, ce qui nécessite la réorganisation des stratégies de prévention, de soin, celle de réduction des risques, et donc les règles et lois. Dépénaliser l'usage privé chez l'adulte, celui qui ne met pas en danger autrui et ne trouble pas l'ordre public, redonnerait à la loi sa légitimité naturelle, celle d'agir là où elle est utile : mise en danger d'autrui, (cas de la conduite automobile ou d'activités professionnelles), trouble à l'ordre public et limitation de l'accès par des règles précises. Elle laisserait à l'éducation et à la santé ce qui relève de leurs compétences et traiterait l'ensemble des substances de façon adaptée, sans la faille actuelle entre substances licites et illicites.
Cette évolution tiendrait compte de toutes les recherches. De celles qui cernent les effets des produits, comme celles sur le rôle du cannabis dans le déclenchement de schizophrénie chez certaines personnalités prédisposées. Ou sur ses effets cancérigènes et son effet nocif pendant la grossesse qui lui font rejoindre ceux du tabac. On sait la responsabilité dans des accidents de la route de l'alcool, du cannabis et de médicaments psychotropes. Un usage de ces substances, parfois même un usage abusif de jeux en ligne, peut faire perdre à un adolescent, un trimestre, parfois deux, puis une année de scolarité, enclenchant un processus de marginalisation.
Culture de l'excès
Mais réagir à ces seules données conduit à une politique déséquilibrée. Il est nécessaire de s'intéresser aussi aux recherches en sociologie, en anthropologie. Elles illustrent combien le caractère addictogène de notre société banalise, avant même la rencontre des produits, leurs effets d'intensité (encore plus fort) et d'instantanéité (encore plus vite) qui en font l'attrait. Cela explique pourquoi la pénalisation de l'usage et une information fondée sur la seule énonciation des dangers échouent : elles font de l'abstinence la norme là où la norme est l'hyperconsommation, du contrôle et de la modération la règle, dans une culture de l'excès et du sans limite.
Le danger est autant dans l'attrait pour l'expérience addictive que dans l'effet du produit, il repose aussi sur l'âge et la maturité de la personne, sa capacité à les gérer ou sa vulnérabilité, son inscription dans des liens sociaux forts. Si la pénalisation bénéficie de sa simplicité apparente, ériger une ligne qui sépare du danger, comme la ligne Maginot, est une solution inadaptée qui provoque une fuite en avant : nous pénalisons tout et toujours plus, faute de savoir éduquer. Réguler les consommations, en réduire les dommages, en associant une éducation rénovée, la réduction des risques, des soins et des interdits limitant l'accès et sanctionnant l'abus, serait une réponse plus complète, répondant autant aux dangers des substances qu'à ceux du contexte addictogène. Elle laisserait les usagers et leurs familles moins démunis qu'ils ne le sont aujourd'hui.
 Par Jean-Pierre Couteron
Source:Larecherche  
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1 commentaires:

Je ne suis d'accord qu'a moitié avec ce texte pour les raisons suivantes:

Dans un premier temps la dépénalisation suppose une évaporation de la loi, une suspension de la peine, un effacement des interdits, mais je pense qu'il faut aux français un travail législatif fin. Et c'est ce que permet la Légalisation. C'est un encadrement entier et précis.

De plus, dépénaliser ou même légaliser seulement le cannabis, c'est hypocrite. En effet les autre drogue plus ou moins dangereuse on leur place dans la société qu'on le souhaite ou non. Il faut toutes les accepter et les encadrer afin d'éviter le maximum de problème plutôt que de les ignorer. Si seul le cannabis est encadrer, il y a effectivement un risque que les drogues non prise en charge par la société devienne la seul source de revenu des trafiquants.

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