Le cannabis sur ordonnance, son idée fixe


 

Séropositif, Jean-Jacques Simon utilise du cannabis pour se soigner. Il prône son autorisation comme en Italie, en Allemagne ou au Canada…

Par MICHEL HENRY
De la suite dans les idées. Après avoir prôné, en juin 2011, une filière légale de production et de distribution du cannabis pour casser le marché noir, le député (PS) et ancien ministre de l’Intérieur Daniel Vaillant dépose une contribution au congrès du Parti socialiste (à Toulouse, du 26 au 28 octobre), afin d’autoriser l’usage thérapeutique du cannabis.
Signé par onze socialistes, dont Annick Lepetit et Gérard Bapt, ce document intitulé «Cannabis : le laxisme, c’est de ne rien changer» rappelle que, depuis quinze ans, cet usage est légal dans de nombreux pays, dont l’Allemagne, l’Italie ou le Canada, et quinze Etats américains.
Il précise que le cannabis permet de traiter «une multitude de symptômes» dans des maladies graves : effets secondaires d’une chimiothérapie, pertes d’appétit, nausées, vomissements, spasmes dus à la sclérose en plaques, glaucome, etc. Selon les contributeurs,«prolonger son interdiction revient à priver la médecine d’un outil utile». Ou à jeter ses utilisateurs dans l’illégalité.
C’est le cas de Jean-Jacques Simon, dit Jacko, 53 ans. Cet homme grand et volubile a un parcours à part. Accro à l’héroïne, volant pour se procurer sa came, il a passé six ans en taule, jusqu’en 1990. «J’étais l’archétype du multi récidiviste. A 9 heures, je sortais de Clairvaux, à 11 heures, j’avais une shooteuse dans le bras» (1). Détecté séropositif en 1985, il décroche vers 1990 de la dope dure grâce à une postcure.«Mon médecin m’a sauvé la vie.» Mais il subit depuis 1989 des traitements très lourds - il en est à sa douzième trithérapie. Pour les supporter, il consomme son cannabis «sans faire chier personne». L’inverse n’est pas vrai.
Pour lui, l’herbe est une «béquille», un «antidépresseur» qui lui évite de prendre des médicaments qui assomment : «Ce qu’on me prescrit, c’est bon pour rester scotché sur le canapé à attendre mes allocs. Avec l’herbe, le cerveau continue à fonctionner.» C’est aussi un somnifère et un «stimulateur d’appétit», lui ayant permis de gagner 21 kilos en six mois - il était «tombé à 48 kilos pour 1,87 m».
«force majeure». Jacko cultive son herbe, ainsi il «n’alimente pas le trafic». Mais les risques existent. Lors d’un contrôle au péage de Vierzon en janvier 2011, les douaniers trouvent dans sa trousse de toilette 415 grammes d’herbe qu’il remontait du Sud-Ouest, où il la plante. «Mais ils ont tout de suite vu qu’ils n’avaient pas affaire à Pablo Escobar.»
Au point que le tribunal correctionnel de Bourges l’a relaxé, en avril 2011, au motif qu’il a «agi sous l’empire d’une force majeure ou d’une contrainte à laquelle il n’a pas pu résister» (article 122-2 du code pénal). Décision exceptionnelle (2) motivée par les certificats médicaux attestant que les douleurs dues aux pathologies et aux traitements «ne peuvent être calmées que par la consommation de cannabis»,écrivent les magistrats. Qui, seul regret, ne lui ont pas rendu son herbe : l’exonération de responsabilité «n’a pas pour effet de rendre licite la détention des produits saisis».
Les magistrats peuvent donc être sensibles à une argumentation que le législateur, pour l’instant, rejette. Selon le certificat de son médecin, Jacko «a constaté une bonne efficacité de l’utilisation du cannabis, dont les vertus thérapeutiques sont connues». Le docteur Jacques Doll n’a «pas interdit médicalement cette utilisation dans la mesure où elle est efficace, bien tolérée, et améliore sa qualité de vie».
Le praticien suggère, sans succès, qu’on lui délivre une ATU (autorisation temporaire d’utilisation) pour qu’il se soigne dans la légalité. «Vous croyez que mon médecin me laisserait prendre un truc qui me fait du mal ?» questionne Jacko. Même si la preuve scientifique des bienfaits allégués est dure à apporter : «Le patient dit que ses douleurs sont soulagées. Vous êtes bien obligé de le croire. C’est lui qui les ressent», explique le docteur Doll, chef de service à l’hôpital André-Mignot du Chesnay (Yvelines). Pour lui, qui n’est pas un militant de la cause, le cannabis thérapeutique devrait être autorisé «avec une prescription très restreinte et un encadrement réglementaire».
effets secondaires. Cela permettrait à Jacko d’acheter son herbe en pharmacie, comme les malades le font par exemple aux Pays-Bas, où une entreprise en produit. Mais les autorités médicales françaises s’y opposent : l’Académie de médecine rejette ce «faux médicament» aux effets pharmacologiques «d’une intensité modeste», alors que les effets secondaires sont «nombreux et très souvent adverses». Dans ce contexte, l’initiative de Daniel Vaillant «ne donnera peut-être rien»,dit Jacko, mais il veut y croire : «Aujourd’hui, plus personne ne se pose de questions sur les produits de substitution» à l’héroïne, légaux depuis 1995.
Il espère que le cannabis suivra, «ça ne coûterait rien à personne et ça peut rapporter de l’argent à l’Etat». Mais il connaît les freins. D’abord, François Hollande n’a pas l’intention de bouger, par peur de passer pour laxiste. Ensuite, «les gens ont peur que l’autorisation du cannabis thérapeutique soit le cheval de Troie pour la légalisation du cannabis récréatif». Autre risque : le détournement, comme en Californie, où il suffit de se plaindre d’insomnies ou de maux de dos pour obtenir une ordonnance de marijuana. Enfin, les labos «bloquent, pour qu’on continue à se soigner avec leurs médocs». Cela met Jacko «en colère» : «Si j’étais sous Prozac, personne ne me ferait une réflexion.»En attendant, le cannabis lui est interdit, mais il peut «avoir de la morphine», drogue bien plus dangereuse, «et ça ne pose de problèmes à personne».
(1) Il a raconté ses aventures dans un livre, «Brèves de l’intérieur vues de l’extérieur» (Ed. Hors Commerce, 2004). (2) Le 3 octobre 2011, un homme souffrant d’une sclérose en plaques a été reconnu coupable, mais dispensé de peine par le tribunal correctionnel de Strasbourg, qui le jugeait après la saisie de 39 plants de cannabis («Libération» du 13 octobre 2011).
Source:Liberation

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