Californie, Jamaïque, France… l’idée de taxer le cannabis fait son chemin

Crise économique aidant, l’idée est dans l’air du temps: au lieu de gaspiller son argent en faisant la chasse aux consommateurs de cannabis (125 000 arrestations en 2009), ce qui n’a aucune influence sur la consommation, l’Etat pourrait légaliser et taxer cette drogue exactement comme il le fait pour le tabac. Libre à lui, par la suite, d’utiliser cette manne pour faire de la prévention.

C’est l’idée qui sous-tendait le rapport de Daniel Vaillant, remis au groupe au socialiste de l’Assemblée au mois de juin: une régie d’Etat supervisant la« filière nationale du cannabis ». Mais si l’ancien ministre évoquait bien dans son rapport l’opportunité de « redynamiser des régions agricoles en crise », aucune évaluation chiffrée n’était faite de ce que ce système pourrait rapporter.

C’est désormais chose faite. Dans une interview au journal Le Monde, l’économiste Pierre Kopp, professeur à Paris-I, estime qu’un système de taxation similaire à celui en vigueur pour le tabac rapporterait un milliard d’euros par an. Une somme à laquelle viendraient s’ajouter les économies réalisées par les ministères de la Justice et de l’Intérieur en arrêtant de poursuivre les usagers. En 2003, selon l’OFDT, l’Etat a ainsi alloué 637 millions d’euros à la répression du trafic de cannabis. Pour Pierre Kopp:

« Avec le cannabis, nous marchons sur la tête : l’Etat continue de dépenser autour de 300 millions d’euros par an pour interpeller environ 80 000 personnes [en fait 120 000, ndlr], sans que cela ait un effet radical sur la consommation, qui s’est stabilisée à un haut niveau. Un tel résultat pourrait être obtenu de façon moins coûteuse en favorisant l’éducation et les soins. »

L’Etat devrait, affirme l’économiste, fixer cette taxe afin d’augmenter très légérement le niveau actuel des prix (environ 5,5 euros le gramme), ce qui permettrait de ne pas encourager le marché noir sans inciter à consommer plus. Rappelons à toutes fins utiles que la consommation de cannabis est moins importante aux Pays-Bas, où elle est tolérée, qu’en France, où elle est sévèrement punie par la loi (jusqu’à un an de prison).

Une étude similaire mais très officielle celle-là avait été conduite en 2009 en Californie, actuellement l’un des principaux producteurs mondiaux de cannabis. Selon les résultats du Board of Equalization (l’administration fiscale), une taxe de 50 dollars par once (28 grammes) dont seraient exclus les petits producteurs (moins de 10 pieds) et les usagers de marijuana médicale, rapporterait 1 milliard de dollars par an en nouvelles taxes et 400 millions en TVA. Soit au cours actuel du dollar, 985 millions d’euros. Très proche de l’évaluation de Pierre Kopp, pour un Etat de moins de 40 millions d’habitants. De quoi donner à réfléchir au gouverneur de l’époque, un certain Arnold Schwarzenegger, qui déclarait en 2009:

“Je suis toujours favorable à un débat ouvert sur des idées permettant d’accroître les recettes de l’Etat. Nous devons dès maintenant étudier de près les pays qui ont légalisé la marijuana et d’autres drogues, et voir exactement l’impact que cela a eu sur leur population.”

Aux Pays-Bas, un haut responsable de la police estimait qu’en 2008, l’exportation d’herbe avait rapporté 2 milliards d’euros. Au total, ce secteur pourrait représenter dans ce pays de 1 à 2% du PIB… Ce qui suscite des vocations chez d’autres producteurs. En Jamaïque, des responsables d’agences de développement locales plaidaient au mois d’août 2009 pour que l’île se place sur le marché naissant du cannabis thérapeutique pour renflouer les caisses de l’Etat.

Car c’est là l’autre gros marché potentiel. Selon une étude du cabinet de conseil See Change LLC, le cannabis thérapeutique représenterait aujourd’hui dans les quinze Etats américains l’ayant légalisé (Californie en tête) un marché de 1,7 milliard de dollars, soit presque autant que la Viagra (1,9 milliard). Toujours selon la même étude, ce marché pourrait représenter dans cinq ans un total de 8,9 milliards de dollars.

Une manne potentielle qui n’a pas échappé au gouvernement canadien, qui a légalisé la marijuana médicale. Or, en obtenant en 2007 la déclassification de certains documents, une association de malades a révélé que l’Etat fédéral réalisait, sur la revente de cannabis thérapeutique acheté à une compagnie privée, une marge de 1500%! En 2003, le magazine Fortune estimait déjà que le cannabis était devenu la principale ressource agricole du Canada…

Arnaud Aubron

[Source:LesInrocks]

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