Un petit joint, Mamie, ça fait du bien !

En Floride, une association cherche à convaincre les personnes âgées des bienfaits du cannabis employé à des fins thérapeuthiques. Avec un certain succès, constate The Wall Street Journal.


Robert Platshorn de Silver Tour, pendant la conférence organisée à
la synagogue locale L'Dor Va-Dor  - The Wall Street Journal

Robert Platshorn de Silver Tour, pendant la conférence organisée à la synagogue locale L'Dor Va-Dor  - The Wall Street Journal


De LAKE WORTH, Floride
Pendant longtemps, Selma Yeshion, une retraitée de 83 ans, a considéré le cannabis comme une drogue dangereuse. "Je pensais qu'il rendait dépendant" et que sa consommation "conduisait à prendre des drogues plus dures". En avril dernier, elle a assisté à une conférence organisée à la synagogue locale L'Dor Va-Dor par Silver Tour [Tournée d'argent]. Cette association tente de persuader nos aînés aux cheveux grisonnants de soutenir l'utilisation thérapeutique de la marijuana en Floride. Toute une série d'intervenants, y compris un médecin, un patient et plusieurs avocats du haschich, ont expliqué au public que c'était précisément ce dont les seniors avaient besoin pour traiter des problèmes comme les douleurs chroniques et l'insomnie.
Selma Yeshion, elle, est séduite. "Je veux du cannabis, déclare-t-elle après la conférence, le sourire jusqu'aux oreilles. Ce serait bien pour mon mal de dos. Au diable, je veux essayer une fois dans ma vie."
Et voilà une convertie de plus pour Silver Tour, qui est allé faire son boniment sur le cannabis dans des maisons de retraite et des lieux de culte de toute la Floride. Silver Tour a été fondé en 2010 par un militant improbable : Robert Platshorn, qui a passé près de trente ans dans une prison fédérale pour son rôle dans ce que les autorités considèrent comme l'un des plus grands réseaux de trafic de marijuana des années 1970.
Sensibiliser les seniors
A sa libération, en 2008, la carrière de chantre du chanvre ne faisait pas partie de celles dont rêvait Platshorn. Mais il a rencontré une kyrielle de patients âgés, dont les problèmes de santé auraient pu être atténués par le cannabis, mais qui n'y avaient pas accès, et il a eu envie de plaider leur cause. Aussi a-t-il décidé de se consacrer à ses camarades seniors, que l'idée de la marijuana médicale ne fait pas exactement planer ; de fait, en 2010, les plus de 65 ans ont fait capoter un projet de légalisation en Californie. Selon des sondages effectués à la sortie des urnes, ils se sont exprimés à 66 % contre, plus que tout autre groupe d'âge.
"Dans le mouvement en faveur de la marijuana, personne ne s'adresse aux seniors", regrette Platshorn. Or, selon le think tank Pew Research Center, les plus de 65 ans représentent 24 % de l'électorat en Floride, contre 18 % à l'échelle nationale.
Dix-sept Etats ainsi que le district de Columbia ont déjà adopté des lois qui légalisent la marijuana médicale, rappelle Allen St. Pierre, directeur exécutif de la National Organization for the Reform of Marijuana Laws (NORML), une organisation qui milite en faveur du cannabis. Cette année, six autres Etats ont examiné des propositions de loi de légalisation lors de sessions législatives, poursuit-il. Selon une étude réalisée en 1999 par l'Institute of Medicine et commandée par le White House Office of National Drug Control Policy, le cannabis peut, entre autres, aider à soulager la douleur, à réduire les nausées et à stimuler l'appétit. L'étude souligne également ses effets indésirables : diminution des capacités motrices et dysphorie, sensations désagréables, etc.
Silver Tour, qui est financé par de petits donateurs, doit faire face à de forts vents contraires en Floride, où les républicains, qui contrôlent la législature, s'opposent à toute mesure de légalisation. Jeff Clemens, député démocrate à la Chambre des représentants de l'Etat, a présenté une proposition de loi sur la marijuana thérapeutique lors des deux dernières sessions législatives, la dernière s'étant achevée en mars. Mais la tentative a fait long feu.
Le chanvre et la "compassion"
Aujourd'hui candidat au sénat de Floride, Jeff Clemens déclare que, s'il est élu, il présentera à nouveau la proposition de loi en 2013. Pour avoir rencontré de nombreuses personnes au stade final d'une maladie, qui pensent que le cannabis les aiderait, il se sent en devoir de promouvoir le cannabis médical, explique-t-il. Cet habitué des conférences de Silver Tour ignore les taquineries occasionnelles de ses camarades législateurs. "Lorsqu'il est bientôt 4 h 20, ils me disent : 'C'est à toi, Jeff !'" (Les amateurs de joints utilisent le code "420" pour désigner le cannabis.)
Les réactions des seniors qui assistent aux conférences sont massivement positives, assure Silver Tour. Le tout, c'est de les faire entrer et s'asseoir dans la salle. Et, pour cela, Platshorn a deux mots magiques : "Buffet gratuit". Une quarantaine de seniors sont venus à la présentation de Silver Tour, ici, en avril. Barry Silver, le rabbin blagueur de la congrégation, explique au public que les membres du conseil étaient un peu nerveux à l'idée de laisser un groupe promouvoir la marijuana à la synagogue. Il leur a répondu : "Ne vous en faites pas. Pourquoi croyez-vous que le jour le plus sacré de l'année s'appelle le High Holy Day ?" ["Holy day" signifiant "jour sacré", et "high" correspondant à "haut" et à "défoncé" dans le langage familier.]
Parmi les intervenants figure ce jour-là Irvin Rosenfeld, un courtier de Fort Lauderdale qui fume légalement 10 à 12 joints par jour depuis trente ans pour traiter une maladie osseuse. Il est l'un des rares participants restants d'un programme fédéral qui fournit par "compassion" du chanvre cultivé par le gouvernement. Le programme, supervisé par la Food and Drug Administration, a été supprimé en 1992, mais M. Rosenfeld et une poignée d'autres participants continuent à bénéficier des droits qu'ils avaient acquis. Tout ce cannabis n'a en rien entamé sa capacité à analyser le marché et à traiter les chiffres. "Au contraire, la marijuana améliore mon travail. Je suis plus calme."
Les membres du public réagissent favorablement après les interventions, tandis qu'ils s'enfilent un buffet de houmous, de fromage et de brownies – normaux, sans haschich. Roberta Feinman, 76 ans, reconnaît que la présentation a dissipé certaines de ses craintes. "Je pensais que la marijuana, c'était seulement pour les jeunes qui sont, vous savez... des fumeurs de joints." Et de poursuivre : "Si c'était légal, j'envisagerais de prendre du cannabis pour m'endormir."
Evy Shareff, 85 ans, se dit prête à s'embarquer dans l'aventure de Silver Tour. "En entendant ça ce soir, j'ai senti que je devais leur apporter beaucoup plus de soutien." "C'est injuste d'en priver des personnes à qui ça ferait du bien, qui ne commettent pas de crime, ne tuent pas et ne font de mal à personne." Mais tout le monde n'est pas convaincu. Pour Lita Paritsky, 76 ans, la consommation de marijuana peut conduire à prendre des substances beaucoup plus dangereuses. Elle aimerait examiner la législation sur l'utilisation médicale de la marijuana.
D'après Platshorn, les seniors intéressés par le cannabis sont souvent rebutés par l'idée de le fumer. Aussi leur explique-t-il qu'il existe un tas d'autres façons de le consommer : "Vaporisateurs, sucettes, petits gâteaux, solutions huileuses, comprimés, boissons au cannabis – c'est sans fin !"
Le rabbin Barry Silver se déclare tout à fait favorable au cannabis médical. Il a même écrit une chanson inspirée de Silver Tour, un riff sur un classique de Johnny Nash. "J'y vois clair maintenant, mon glaucome a disparu." "Au revoir les douleurs de la chimiothérapie. Au revoir les symptômes qui me mettaient à plat. Ce sera une belle, belle journée grâce au THC [tétrahydrocannabinol, le principe actif du cannabis]."

Reportage vidéo du Wall Street Journal

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