Suisse : Un vendeur de marijuana raconte son quotidien

C’est un supermarché en plein air, ouvert sept jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Un drive-in pour clients pressés en quête de cannabis. En soirée, on peut compter une douzaine de vendeurs aux aguets qui naviguent dans plusieurs rues de la Jonction et de Plainpalais. Ces hommes jeunes dissimulent la marchandise dans les moindres recoins de la zone ravagée par les travaux, profitant d’un trou dans le trottoir, d’un bac à fleurs, d’une roue de voiture. D’où viennent ces petites mains? Comment expliquer l’ampleur du phénomène à Genève?

Appelons-le Iamin. Parce qu’il ne compte pas livrer son identité. Ce jeune homme vit là, sans nom, sans âge, sans papiers, sans domicile. Mais il existe à travers son activité, qu’il peine à avouer. «Je vends de la marijuana. C’est difficile.» Son histoire est singulière.

Nous l’avons rencontré la semaine dernière dans la pénombre de la rue de la Synagogue. Il passe son temps à attendre. Il scrute homme, femme, voiture qui s’approchent, craignant la police. «Je viens de Gambie, là où il n’y a pas de boulot, pas d’argent», raconte-t-il à voix basse. Comme tant d’autres, il rêve d’Europe et tente sa chance en passant par le Sénégal, la Mauritanie, où il a appris le français, le Mali, en «marchant dans le désert». En Libye, il a pris un bateau, «plein de clandestins» pour l’Italie. Plausible. Puis Vallorbe en novembre, pour l’asile. «On m’a envoyé à Genève. Trois mois après, c’était négatif. Pas de travail. J’ai cherché, mais j’ai pas de papiers.»

«La Suisse? Je l’imaginais comme ça, cool. Ici c’est tranquille, les gens sont gentils.» Et la police? Eclat de rire: «Si tu fais mal, elle fait mal. Si tu es bon, elle fait bon.» Il parle d’expérience, pour avoir été arrêté à plusieurs reprises. «Ils ont trouvé de la ganja dans ma poche deux ou trois fois.» Emmené au poste, il a toujours été relâché au bout d’une à trois heures.

«Nous, on vole pas, on agresse pas», assure lamin, méfiant vis-à-vis des Maghrébins, auprès de qui il se ravitaille. A chacun son business. Iamin vend en moyenne trois sachets de 20 francs par jour, mais la moitié de sa recette revient à son fournisseur. Il gagne environ 900 francs par mois et dit en envoyer une partie au pays. Repartir? Impossible, il n’a pas l’argent, se justifie-t-il. Ce serait surtout l’échec, la honte. Alors il s’accroche à son rêve, celui de «trouver une fille, pour avoir des papiers».

A la Jonction, le trafic de cannabis, organisé par des ressortissants de l’Afrique subsaharienne, s’est élargi ces derniers mois. En fait, chaque secteur a sa spécialité. Aux Pâquis et depuis quelques mois à Plainpalais, c’est le trafic de cocaïne tenu par des ressortissants de Guinée, du Nigeria et de Côte d’Ivoire, notamment. Du Jardin anglais au parc des Eaux-Vives, c’est le haschisch, géré par des Maghrébins. Plus loin du centre, dans les zones vertes à proximité des axes de transports, des Albanais possèdent le marché de l’héroïne. Comment mesurer l’ampleur du trafic? La quantité de drogues saisie donne une indication relative. En 2010, la police genevoise a intercepté 57 kilos de cocaïne, 52 kg d’héroïne, 52 kg de marijuana, 48 kg de haschisch. «La tendance est en légère hausse cette année», observe Laurent Blanc, chef de section à la police judiciaire. La présence visible des «fourmis» des rues montre que le deal explose pour les drogues dures.


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