CANNABIS : 52 000 MARTINIQUAIS à se passer le joint


C'est la substance illicite qui soulève le plus de questions. Cannabis, ganja, cigarette qui fait rire... Elle fait aussi beaucoup parler. Le débat sur sa légalisation divise.

Premier à ouvrir les hostilités sur le sujet : le rapport de Daniel Vaillant, député socialiste, ex-ministre de l'intérieur. Il plaide pour une « légalisation contrôlée » du cannabis et la création d'une filière nationale. Une sorte de régie du cannabis. Imaginez. Une production encadrée d'herbe de qualité sur plusieurs hectares. Des points de vente réglementés, et des lieux de consommation dédiés au cannabis... Des idées qui doivent faire planer le plus d'un million de fumeurs réguliers que compte la France. Notre petite île, située à proximité de pays producteurs, n'échappe pas au phénomène et connaît, elle aussi, une consommation assez importante : environ 52 000 Martiniquais ont déjà tiré sur un joint d'herbe. Une consommation bien visible dans certains bourgs et quartiers, où le trafic se fait à la vue de tous. Mais aussi plus discrète dans de nombreux foyers « biens sous tout rapport » .
Quand ils ne sont pas catégoriquement hostiles à la légalisation, les élus et les socio-professionnels s'expriment avec beaucoup de réserves sur le sujet. La question est sensible et complexe. Que dit le rapport du député Vaillant ? Réalisé au terme de quinze mois d'enquête auprès de magistrats, policiers, addictologues et malades... il souligne l'échec des politiques de répression et leurs coûts : malgré l'appareil répressif, la France est un des pays d'Europe où on fume le plus de cannabis. Encadrer la production et la distribution permettrait, selon ce rapport, de réduire les risques liés à la consommation et au trafic. Tout en arrêtant de poursuivre les consommateurs, il préconise de punir plus sévèrement le trafic illégal, ainsi que la conduite sous l'emprise de cannabis. Le rapport Vaillant insiste également sur la prévention, car l'objectif n'est pas d'encourager la consommation mais de traiter le cannabis comme les autres drogues légales, que sont l'alcool et le tabac.
Des rapports contradictoires
Un autre texte, international cette fois-ci, va plus loin. Il s'agit du rapport de la Commission mondiale sur la politique des drogues. Il est signé par 19 personnalités, anciens chefs d'Etats, premier ministre, magistrats... et de Kofi Annan, ancien secrétaire général de l'ONU. Tous réclament aux Etats de « mettre fin à la criminalisation, la marginalisation et la stigmatisation des personnes consommant des drogues qui ne causent aucun dommage aux autres » . Les signataires soulignent que les personnes dépendantes doivent être traitées comme des malades, et non comme des délinquants.
En France, les parlementaires n'en ont pas fini avec le pétard. Une mission d'information sur les toxicomanies vient de rendre un autre rapport qui affirme : « Aucune argumentation solide ne justifierait une dépénalisation de l'usage des drogues illicites... »
- Ce que dit la loi
La référence en matière de lutte contre les stupéfiants, c'est la loi du 31 décembre 1970, « relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses » . Cette loi punit le trafic et l'usage des produits stupéfiants en distinguant les deux. Le trafic tombe sous le coup du code pénal, l'usage, lui, est régi par le code de la santé publique.
L'usage de produits stupéfiants est donc interdit par l'article L3421-1 du code de la santé publique. Il est, théoriquement, puni d'un an d'emprisonnement et d'une amende de 3750 euros. Mais le juge peut préférer une injonction thérapeutique. C'est une obligation de suivi médical faite au toxicomane. Certains parlent même de dépénalisation de fait, car les simples usagers sont de moins en moins poursuivis.

- AVIS
NICKOL NELZY EDUCATEUR SPÉCIALISÉ : « La réponse répressive n'est pas la bonne »
« C'est un problème complexe. Il s'agit de la rencontre d'une personne avec un produit à un moment donné.
Selon ce moment, l'âge de la personne, sa situation, il va y avoir des incidences différentes sur elle. Et la réalité, c'est que ceux qui sont le plus attirés par le cannabis, ce sont les jeunes. A l'adolescence ils se construisent, la consommation de cannabis comporte d'autant plus de risques pour eux. Le cannabis, comme d'autres substances, provoque une désinhibition, qui entrave d'autres processus de réflexion, de remise en question et d'adaptation. L'herbe qui rend « cool » va aussi démotiver le jeune, alors qu'il a besoin d'énergie. Je fais de la prévention depuis 30 ans en milieu scolaire, si demain l'herbe est dépénalisée je vais me retrouver avec des jeunes qui ne vont rien comprendre. La limite va être repoussée, or, ces limites cadrent les jeunes. La dépénalisation doit être pensée, il faut prendre le temps de savoir comment amener cela au niveau des populations. Cela ne veut pas dire que la réponse répressive actuelle soit la bonne. Enfermer quelqu'un, lui faire payer une contravention parce qu'il consomme une drogue c'est aussi un problème. Un adulte qui consomme chez lui, qui ne cause pas de troubles à l'ordre public, est libre de fumer tant qu'il ne pose pas de problèmes dans un groupe social. En tout cas, il ne faut pas banaliser le cannabis, et agir davantage dans la prévention. »
LOUISY BERTÉ SECRÉTAIRE DÉPARTEMENTAL ADJOINT D'ALLIANCE POLICE NATIONALE : « La dépénalisation existe déjà »
« Notre syndicat est contre la légalisation et la dépénalisation du cannabis. Si on dépénalise, ce sera pour tout le monde, que ce soit les pilotes d'avion, les juges, les chirurgiens... Il y a un danger si ces personnes-là fument. D'autant que la différence avec l'alcool, c'est qu'on ne peut pas quantifier la dose présente dans le sang, donc il n'y a pas de seuil déterminé à ne pas dépasser. Quelqu'un qui fume du cannabis peut être somnolent, agressif ou hagard... En tout cas cette personne n'est plus elle-même, et peut être dangereuse.
De toute façon, la dépénalisation existe déjà. Nous faisons la part des choses sur le terrain : le petit consommateur ne nous intéresse pas, pour nous c'est plus un malade qu'un délinquant, sinon nous aurions arrêté un nombre considérable de personnes. Le problème en dépénalisant c'est qu'on incite les gens à fumer, les dealers auront pignon sur rue. Ils vont ouvrir des boutiques, et il y aura une guerre des grossistes et des revendeurs. »

- Légalisation ou dépénalisation ?
La dépénalisation consiste à cesser de poursuivre pénalement une infraction. Les amendes et peines d'emprisonnement disparaissent, mais d'autres formes de sanction ou d'accompagnement peuvent être prévues. La légalisation, elle, va plus loin : elle cesse de considérer un acte comme constitutif d'une infraction. L'usage de cannabis, sa production et sa commercialisation sont alors autorisés.

- Cannabis, shit, huile ?
Le cannabis, c'est presque vieux comme le monde... Voilà des millénaires que l'homme le consomme, et des témoignages d'usages médicinaux datant de 5000 ans avant notre ère ont été retrouvés en Chine. Mais le voile est loin d'être levé totalement, et la Marie-Jeanne excite toujours l'imaginaire. Ses effets psychotropes sont dûs à la présence de cannabinoïdes, le principal étant le THC (tétrahydrocannabinol). La teneur en THC du cannabis est fonction de sa variété, de son mode de culture, de conservation et de la forme sous laquelle il est consommé. Le cannabis est consommé sous différentes formes :
- Les feuilles récoltées, puis séchées sont fumées pures ou mélangées à du tabac.
- La résine, que l'on trouve plus dans l'hexagone que chez nous. Vendue sous forme de « savonnettes » marron, elle est brûlée pour être réduite en poudre, puis mélangée à du tabac afin d'être fumée comme une 1cigarette.
- L'huile, est un liquide brun ou verdâtre particulièrement riche en THC. Les fumeurs l'étalent sur une cigarette. Elle est peu consommée chez nous.

- Quand le chat n'est pas là, les souris dealent
En France, le cannabis est en cause dans plus de la moitié des interpellations pour trafic de stupéfiants. C'est le premier produit objet de trafic : 87 tonnes interceptées en 2005. C'est aussi un marché très lucratif : le chiffre d'affaires issu de la vente du cannabis est évalué entre 637 millions d'euros à près d'un milliard d'euros en 2005.
En Martinique, 645 kilos de cannabis ont été saisis en 2007. Au 1er juillet 2011, 200 personnes étaient détenues dans le cadre d'affaires liées au trafic de stupéfiants (toutes substances confondues), soit 22,5% de la population carcérale de Ducos.
Sources : « Etat des lieux de la consommation de substances psycho-actives à la Martinique » Centre d'informations sur les drogues et dépendances (Mai 2011) ;
« Focus » Statistiques concernant l'usage et le trafic des produits stupéfiants (N°1 février 2009) ;
« Cannabis, données essentielles » (Observatoires français des drogues et toxicomanies, 2007)

- Fumer avec ses parents...
Les idées reçues partent en fumée face aux chiffres. En effet, chez nous, si le climat est favorable à la bonne pousse du cannabis, les Martiniquais sont bien moins tentés par la fumette que les habitants du continent. Déjà, le nombre de fumeurs de tabac est l'un des plus faibles des régions de France. L'usage de substances psycho-actives présente par contre des similitudes avec nos voisins de la Caraïbe.
Globalement, 13% des Martiniquais (23 ?% dans l'hexagone) déclarent avoir déjà consommé du cannabis au moins une fois dans leur vie. Il y a de nettes différences en fonction du sexe : 20% d'hommes ont déjà fumé de l'herbe contre 6% de femmes.
Si on ne s'intéresse qu'aux jeunes de 19 ans, les chiffres grimpent : à cet âge, la moitié des garçons et le quart des filles avouent avoir déjà fumé. La fumette régulière, par contre, ne concerne « que » 6% des garçons et 2% des filles de 19 ans.
Ce qui peut paraître étonnant, ce sont les contextes de la consommation. La plupart des jeunes de 17 et 18 ans qui fument, le font chez eux (77%), et près de la moitié ont déjà fumé avec leurs parents. Une nouvelle étude, en cours de traitement, permettra de réactualiser ces chiffres. Ses résultats devraient être publiés d'ici la fin de l'année.

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