Pays-Bas: la réforme des coffee shops jugée par leur inventeur

Wernard Bruining n’est ni une vedette ni un millionaire, et pourtant, l’une de ses inventions est connue du monde entier et génère encore aujourd’hui des fortunes: c’est en effet lui qui, en 1973, a ouvert le premier coffee shop d’Amsterdam, le Mellow Yellow. Au début des années 80, c’est encore lui qui ouvre le premier grow shop des Pays-Bas, ces boutiques spécialisées dans la culture intensive d’herbe qui ont fleuri dans toute l’Europe (pour en savoir plus, lire le portrait que j’avais fait de lui pour Libé en 2004).

Un incendie et une faillite plus tard, il travaille aujourd’hui pour Mediweed afin de mettre au point des protocoles de cannabis thérapeutique qui ne font pas planer les patients.

Le mois dernier, le gouvernement néerlandais a rendu publiques ses propositions pour limiter les nuisances liées au « narcotourisme ». Entre la fin de cette année et début 2012, les fameux coffee shops deviendraient des clubs privés accessibles aux seuls citoyens ou résidents néerlandais. Pour y accéder, ces derniers devront être majeurs et prendre une carte de membre valable un an. Le gouvernement souhaite également limiter le nombre total de coffee shops. Si Wernard Bruining défend depuis longtemps l’idée de « cannabis clubs » réservés aux membres, il explique aux Inrocks pourquoi la formule proposée par le gouvernement ne lui paraît pas la bonne.

Quelle a été votre réaction en apprenant les projets du gouvernement concernant les coffee shops?

Il ne s’agit encore que d’idées, pas de lois. Et il y a des chances que ce système de « passes cannabis » pour bannir les étrangers n’ait jamais force de loi. C’est compliqué juridiquement: ça voudrait dire que l’Etat oblige des hommes d’affaires, des citoyens, à délivrer des passes permettant d’acheter quelque chose qui reste illégal… [le cannabis n'est que toléré aux Pays-Bas, ndlr]

De plus, il y a des chances qu’ils réalisent que ce système est inutile. Pour arriver au même résultat, il suffit de limiter le nombre de membres que peut avoir un « cannabis club », peu importe leur nationalité. Ça pourrait constituer une porte de sorties pour des municipalités comme Amsterdam qui ne veulent aucune restriction. Elles pourraient mettre en place des clubs avec des cartes de membres provisoires. Car lorsqu’un étranger dort dans un hôtel, dans un sens il réside aux Pays-Bas. Ce n’est pas comme un narcotouriste qui prend sa voiture, va dans le coffee shop le plus près de la frontière et repart. Là c’est de l’exportation.

Je pense qu’à terme, nous aurons effectivement des cannabis clubs réservés aux seuls membres, mais dont les étrangers pourront faire partie, pour quelques semaines par exemple.

Est-ce que les propriétaires de coffee shops sont inquiets?

Pas du tout. Ils pensent que rien ne va se passer. Ce n’est pas très réaliste, mais bon… Et si ça arrivait quand même, ils arrêteront, c’est tout. Il y en a qui sont déjà millionnaires parmi eux. Enfin, pour des institutions comme le Bulldog [la plus célèbre chaîne de coffee shops des Pays-Bas, ndlr], ils ne tirent que 15 à 20% de leurs revenus du cannabis. L’essentiel vient de la bière, des alcools forts, des souvenirs vendus aux touristes…

Vous-même, vous avez peur de voir disparaître votre invention?

Dans les derniers temps du Mellow Yellow, c’était devenu un club réservé aux membres. Et Positronics [son grow shop, ndlr] fonctionnait aussi comme un club, avec 4000 membres. J’ai toujours défendu ce système de clubs, car lorsque vous êtes derrière une porte fermée, vous pouvez faire ce que vous voulez.

Personnellement, je ne suis pas vraiment favorable aux coffee shops totalement ouverts au public. Si seulement 5% de la population est intéressée par ce que vous faites, pourquoi dire aux 95% restant: « Hey, on vend de l’herbe et du hasch ici, entrez donc. » C’est de la provocation.

En 2008 j’ai donc suggéré que les coffee shops deviennent tous des clubs. Je suis allé voir des maires, dont certains ont finalement adopté cette idée. Parce que faute de solution, ils allaient devoir purement et simplement fermer les coffee shops.

Vous évoquez là les nuisances liées aux narcotouristes, dont on parle beaucoup en France. S’agit-il d’un débat important aux Pays-Bas?

A Amsterdam, ce n’est pas un problème. Mais il est vrai que ça peut l’être dans les villes le long des frontières belge et allemande. Là-bas, il y a des milliers et des milliers de « drug tourists » qui passent la frontière juste pour acheter et ramener chez eux.

Dans ces régions, on installe désormais les coffee shops hors des villes, comme à Venlo. Il y a six ou sept ans, de jeunes Marocains y ouvraient votre porte de voiture en centre-ville pour vous demander ce que vous vouliez: « Vert, marron, blanche, champignons… » Il y avait aussi beaucoup de boutiques dans le centre ville qui vendaient tout un tas de produits.

Finalement, ils ont ouvert un coffee shop dans un ancien resto routier, à la frontière. Il y en a maintenant deux. Et ils sont tellement fréquentés que parfois leur propre personnel doit réguler la circulation. Mais à l’intérieur de la ville, il n’y a plus de problèmes.

Avec ces mesures, les touristes ne risquent-ils pas de fuir le pays?

Certains le redoutent à Amsterdam, raison pour laquelle le maire est opposé à ces restrictions. De manière générale, il n’y a qu’une faible majorité au Parlement pour défendre ces réformes. L’opposition ne veut pas tuer la poule aux oeufs d’or. Et la plupart des maires sont contre parce qu’ils ont peur du retour des dealers de rue.

En France, cette réforme a relancé le débat sur la tolérance néerlandaise, qui est vue comme un échec.

Il faut rappeler que moins de personnes fument aux Pays-Bas qu’en France!

D’un point de vue plus international, comment jugez-vous les évolutions actuelles concernant le cannabis?

Pour comprendre ce qui va arriver sur la « scène mondiale du cannabis » il faut regarder vers l’Amérique ou encore vers l’Espagne. Aux Etats-Unis, 16 Etats ont légalisé le cannabis thérapeutique et il y a des milliers de marijuana clubs, qui sont finalement des équivalents de nos coffee shops. Et l’Espagne ouvre des « Cannabis social clubs ». Les choses changent. Lorsque Obama sera réélu, un pas sera sûrement franchi vers une régulation du marché du cannabis thérapeutique.

Mais cela ne concerne que le cannabis thérapeutique…

Oui mais le cannabis thérapeutique aux Etats-Unis est une sorte de couverture. Vous pouvez acheter jusqu’à 30 grammes par jour. Ces gens rentrent chez eux et vendent le reste à leurs amis, leurs voisins, leurs grand-parents ou je ne sais qui. Puis ils reviennent en acheter…

Recueilli par Arnaud Aubron

[Source:LesInrock]

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