De la marijuana à la foire internationale du cannabis à Oakland, en Californie, le 4 septembre 2011 (Mathew Sumner/Reuters)
D'aussi loin qu'il s'en souvienne, notre ancien rédacteur en chef adjoint passé aux Inrocks écrit à la première personne sur les « stupéfiants », ces « produits dont la seule définition est celle d'être un produit inscrit sur une liste dite “des stupéfiants” », comme il le rappelle.
Il publie ce jeudi son premier livre, une somme d'infos glanées lors de reportages, lectures, recherches, et compilées sous forme de dictionnaire.
Arnaud Aubron recense les dernières substances en vue telles la méphédrone, rappelle que la noix de muscade est « un stimulant et un hallucinogène » utilisée depuis des siècles, révèle la dépendance d'Hitler aux méthamphétamines et que George Washington cultivait du chanvre.
Surtout, cette somme est l'occasion de défendre certaines idées qu'il distille au fil de ses reportages, comme :
- « La guerre à la drogue fait aujourd'hui plus de mal que les drogues elles-mêmes. »
- « Tant que perdurera l'interdit, ce commerce lucratif restera entre les mains de personnes peu recommandables. »
- « On se drogue avant tout parce que c'est bon, et ce quels que soient les risques encourus. »
- « Plus personne ne pense sérieusement qu'un jour les drogues disparaîtront. »
« The Doctor is in »
La célèbre plage de Venice, à Los Angeles, a des relents d'Amsterdam, le soleil en plus. « The Doctor is in », scandent de jeunes gens essayant d'attirer les touristes dans l'une des nombreuses « marijuana clinics » implantées face à la mer.Depuis que la Californie a, en 1996, autorisé par référendum l'usage médical de marijuana, le système a largement été détourné pour aboutir à une dépénalisation de fait.
Il suffit aujourd'hui de rentrer dans l'un de ces « dispensaires » que l'on compte par centaines, de simuler sans grande conviction un mal de dos ou des migraines, pour se voir prescrire en quelques minutes de la marijuana, à retirer au guichet suivant. Fin 2011, une quinzaine d'Etats américains avaient légalisé la marijuana à des fins médicales, tandis que d'autres semblaient prêts à franchir le pas.
Une légalisation qui ne dit pas son nom et qui occasionne depuis quinze ans un long bras de fer avec les autorités fédérales, qui ne reconnaissent toujours pas l'usage du cannabis comme médecine, malgré son efficacité prouvée dans le traitement du glaucome, de la sclérose en plaques ou encore pour supporter les chimiothérapies ou trithérapies.
En Californie, la marijuana est ainsi devenue l'une des industries les plus florissantes. Dans certains comtés du nord de l'État, les plantations s'étalent à perte de vue et sont devenues la principale ressource agricole. Le tout grâce au flou juridique complet en la matière.
Sean à la tête d'un business lucratif
Sean [le prénom a été modifié, ndlr] a la petite trentaine, bodybuildé, très élégant, cultivé et toujours souriant. Et si ce résident de San Francisco est heureux, c'est que, malgré la crise, ses affaires se portent bien. Depuis plusieurs années déjà, elles consistent à faire pousser de la marijuana « à échelle industrielle ». Pour cela, Sean possède une autorisation officielle de cultiver. Avec ce sauf-conduit, il peut planter quelques pieds d'herbe mais doit être associé à un dispensaire, seul autorisé, en théorie, à lui acheter sa maigre récolte. Enfin, son entreprise doit être à but non-lucratif.Dans les faits, Sean déborde largement de ce cadre, produisant bien plus que les quelques pieds autorisés et vendant en partie sur le marché noir, ce qui fait de lui un trafiquant. Et pour lui comme pour beaucoup de ses confrères, « ce business est extrêmement lucratif. A condition d'avoir les bons contacts pour distribuer cette médecine », comme il prend soin d'appeler la marijuana. Il explique :
« Ce sont des potes à moi qui ont eu l'idée, juste au moment ou je perdais mon boulot. Quelqu'un qui connaissait toutes les ficelles de ce type particulier d'horticulture nous a parrainés dans le business et s'est associé avec nous. »Les cinq compères ont d'abord loué un entrepôt de 1 000 m2 pour y installer leur première méga-plantation. Des centaines de pieds d'OG Kush (réputée comme la meilleure variété d'herbe américaine) sous néon, en culture hydroponique.
« Je n'ai même pas vu la première récolte : le système a fait péter deux transformateurs. La compagnie d'électricité a prévenu la police, qui a envoyé la task force pour effectuer une descente. Ils ont emporté les plantes et laissé le matériel sur place, c'est toujours comme ça qu'ils font. Une personne qui travaillait là-bas a été arrêtée et condamnée à de la prison avec sursis. »Mais les descentes de police ne se passent pas toujours aussi bien. Depuis quelques années, des planteurs beaucoup moins sympathiques que Sean se sont en effet installés en Californie. Parmi eux, les cartels mexicains, qui ont réalisé qu'il était désormais moins dangereux – et donc moins coûteux – de planter de ce côté de la frontière que de tenter de la franchir avec la marchandise.
Des affrontements armés ont ainsi régulièrement lieu entre mafias et forces de l'ordre, notamment dans les nombreux parcs naturels californiens reconvertis en plantation à ciel ouvert.
« Aussi longtemps que tu paies les factures, tout se passe bien »
Sean, lui, opte pour la discrétion et gère son business comme l'un de ces entrepreneurs de la Sillicon Valley qui font la fierté de l'Etat et parmi lesquels il compte des amis. Il explique :« La bonne place est difficile à trouver. Le mieux, c'est un appartement discret dans un quartier résidentiel, des zones en dehors du radar de la police. Et c'est encore mieux si tu connais le propriétaire du building, comme ça, tu n'es pas obligé de lui cacher l'opération. »Après l'entrepôt, Sean a ainsi investi un appartement de 300 m2. Une production à peine suffisante pour se partager 4 000 dollars par mois de recettes avec son associé. Il possède également d'autres plantations, qui lui assurent des revenus confortables.
« Le plus important, c'est de bien payer l'électricité. La plupart des mecs qui font ça préfèrent bloquer le compteur pour limiter les coûts et ne pas se faire repérer mais, selon mon expérience, ce n'est pas la chose à faire. Aussi longtemps que tu paies les factures, tout se passe bien. »Dans cette zone grise, difficile de savoir quelle quantité de marijuana est réellement produite pour le marché médical et quelle partie est détournée pour le marché récréatif.
« Légalement, toute ma médecine va aux dispensaires ou aux vendeurs agréés qui le redistribuent. Mais certains paquets peuvent aussi alimenter des particuliers, en fonction de la demande, de la saison. »Chaque année, après avoir récolté la marijuana cultivée en extérieur, à la fin de l'automne, les Californiens se détournent en effet des cliniques pour se fournir sur le marché noir, dont les prix deviennent bien plus compétitifs en raison de l'abondance de marchandise.
Les autorités fédérales ne l'entendent cependant pas de cette oreille. Alors que le président Obama s'était engagé en 2009 à préserver ce statut quo dans les Etats ayant autorisé ce système, la situation s'est à nouveau tendue en 2011. Face à l'explosion du marché, la DEA a repris ses raids sur les plantations et les cliniques pour tenter, en vain, de contenir la marée verte californienne. Malgré cette menace, Sean garde le sourire et n'envisage pas une seconde de se trouver une autre profession :
« Aussi longtemps que la loi ne changera pas, l'économie souterraine de cette médecine restera florissante et abondante. Les jobs réguliers sont rares dans cette vie… et celui qui a dit que l'argent ne poussait pas dans les arbres devait être un fou. »Source:Rue89
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