Le témoignage d'une mère américaine dans une expérience thérapeutique pour apaiser les souffrances de son fils autiste.
Au printemps dernier, j'ai rédigé un article sur ma demande d'autorisation d'administrer de la marijuana à but thérapeutique à J., mon fils de 9 ans, qui souffre d'allergies, dans l'espoir de soulager ses douleurs abdominales et son anxiété à l'origine des démons qui le poussaient à se taper lui-même et à agresser les autres. Après avoir lu des études sur la manière dont le cannabis peut atténuer les douleurs et l'angoisse, et en accord avec son médecin, nous avons décidé de faire un essai. J'ai déjà raconté qu'au bout d'un mois de thé au cannabis et de mini-cookies à la marijuana (mon mari a découvert le pâtissier qui sommeillait en lui), il nous semblait que J. avait l'air plus heureux. Mais c'était difficile à dire. Il passait une bonne matinée, et puis au déjeuner il se remettait à envoyer valser sa nourriture. Nous remarquions pourtant qu'en rentrant de l'école, quand il avait mal au ventre (on ne lui administrait aucune dose de cannabis là-bas), il courait à la cuisine et réclamait son thé et ses cookies. Comme s'il savait que c'était ce qui atténuait ses épouvantables crampes intestinales.
Et aujourd'hui, quatre mois après le début de notre expérience avec le cannabis, comment va J.? Eh bien, un soir, il n'y a pas longtemps, il est revenu de l'école et j'ai remarqué qu'un grand changement s'était produit: sa chemise était intacte.
Avant la marijuana, J. mangeait des choses qui n'étaient pas comestibles. Cette pratique a un nom: le pica (le pica pousse certaines femmes enceintes à manger de la craie ou de l'amidon). J. mâchait le col de ses t-shirts tout en arrachant furtivement le tissu de bas en haut, qu'il détissait avant d'en avaler les fils. Quand j'allais le chercher à l'arrêt de bus après l'école, tout le devant de sa chemise avait disparu. Son pica était devenu si incontrôlable que nous ne pouvions pas le laisser dormir avec un haut de pyjama (il aurait disparu au matin) ou un oreiller (pareil pour la taie et la garniture). Un ancien édredon de famille a été réduit en lambeaux, et il a même réussi à faire des trous dans une couverture en polaire avec les dents -son régime bio en a pris un coup. Je me suis mise à ne le vêtir que de hauts en coton bio, mais nous n'avions pas les moyens d'en acheter un par jour. Le pire était de le voir crier de douleur aux toilettes, quand ce qui était entré devait ressortir. Je faisais des cauchemars où de longs fils faisaient des nœuds autour d'organes digestifs (bienvenue dans notre vie privée !)
Presque immédiatement après le début des prises de cannabis, le pica a disparu. D'un coup. J. dort à présent avec son édredon hypoallergénique en coton et laine bio, qui semble appeler au mâchonnage. Il le tire jusque sous son menton le soir et déclare: «Je suis bien confortable !»
Moins d'agressions
Ensuite, nous avons commencé à constater des changements sur les bulletins scolaires de J. Son programme est basé sur une thérapie appelée l'analyse comportementale appliquée, qui implique, comme son nom l'indique, une analyse méticuleuse des données. Lors d'une réunion de parents au mois d'août (l'année scolaire de J. est plus longue que les cursus classiques), son professeur a présenté avec enthousiasme son bilan «d'agressions» pour juin et juillet. Une agression est définie comme la tentative ou l'acte de frapper, donner un coup de pied, mordre ou pincer une autre personne. Toute l'année dernière, chaque journée d'école était immanquablement marquée par 30 à 50 agressions, et un jour il est même monté jusqu'à 300. Le tableau de juin et juillet, en revanche, montrait qu'il passait parfois des journées entières -voire plusieurs d'affilée- sans la moindre agression.
Autre preuve: le bus. Ces dernières années, l'arrivée du bus scolaire de J. avait été le moment le plus traumatisant et imprévisible de notre journée. J. s'est déjà jeté dans le bus pour frapper le conducteur au visage. Il s'est bagarré avec les assistantes et a essayé de les mordre. Son comportement faisait naître le pire chez les autres: une surveillante du bus (nous plaisantions en disant qu'elle aurait mieux fait d'aller travailler à la prison locale), qui semblait n'aimer aucun des enfants, le traitait d'une façon particulièrement méprisante, allant jusqu'à l'insulter, une fois même en notre présence.
Cet été, une nouvelle équipe d'aides et de conducteurs a fait son apparition. J'ai réalisé que ces gens ne connaissaient que «Cannabis J.»-un enfant aux yeux pétillants qui leur dit bonjour tous les matins, va tranquillement s'asseoir et essaie même d'aider à boucler sa ceinture.
Un jour, alors que l'assistante habituelle de J. était malade, une dame avec un sourire planant a gentiment accompagné J. à sa descente du bus. Elle me disait quelque chose; et après avoir replacé une méchante grimace renfrognée sur son visage, je me suis écriée à l'intention de mon mari alors que le bus s'éloignait: «C'était elle, pas vrai?» Nous avons ri, sous le regard de J. «C'est rigolo!» a-t-il déclaré.
Il y a un mais à cette joyeuse histoire de marijuana, pourtant. Si le cannabis a atténué les problèmes les plus envahissants de J., son autisme est devenu plus distinct. Comme le montrent ses résultats scolaires, ses marques d'agressivité sont devenues bien moins fréquentes, mais ses démonstrations explosives -cris, aboiements, glapissements de joie- persistent. Quand J. vivait sa phase sombre, nous passions notre vie hors de vue, hors de portée, à la maison, avec un enfant hurlant, violent, qui envoyait valser sa nourriture et la vaisselle. Les sons étaient contenus par des fenêtres à double vitrage (quand elles n'étaient pas cassées). Aujourd'hui, dans notre cercle familial, nous avons atteint une merveilleuse homéostasie: la vaisselle reste intacte, nos bras et le visage de J. ne portent plus de marques de griffures. Mais quand nous sortons pour jouer dans le jardin, nous promener après le dîner ou faire du tandem avec J., nous voyons bien que les voisins savent que notre famille est différente, et que cela ne leur plaît pas toujours.
Nos voisins les plus proches (nous pourrions leur faire passer un gâteau depuis la cuisine) ont toujours été compréhensifs. Mais dans la rue d'à côté, quand nous apparaissons, le voisin cesse de jouer au ballon avec son fils et le fait rentrer à la maison quand nous approchons, ignorant le joyeux «Bon-jouuuuuuur!» de J. C'est lui que nous soupçonnons de nous crier dessus -de derrière d'autres maisons, sans que nous puissions le voir- quand J. vocalise un peu bruyamment dehors. Et puis il y a cette maman, dont le fils a à peu près l'âge de J. (qui, d'ailleurs, crie exactement de la même manière que J.). Quand nous la croisons, elle évite notre regard, et a ostensiblement ignoré notre invitation à une fête. Nous avons aussi entendu, venant de derrière la clôture d'une famille qui nous scrute sans jamais nous saluer: «Oh, c'est J.»
Ostracisme
Parfois, nous nous sentons victimes d'un ostracisme du XXIe siècle. Avec du recul, bien sûr, il ne s'agit que de petits tracas par de petites gens. La présidente de mon département universitaire invite J. dans son jardin à elle, pour qu'il puisse jouer dans sa piscine, et le laisse vocaliser devant ses voisins qui ne trouvent rien à y redire. Une mini-bande d'ados branchés qui passe devant chez nous après l'école salue toujours J. avec sincérité, quand il leur lance amoureusement un: «Salut, salut,
saluuuuuuuuuuuut!» Je suis heureuse que le cannabis ait donné à J. l'opportunité de sortir et de goûter à la vie. Si parfois elle lui donne des coups, elle lui offre aussi des fleurs.
saluuuuuuuuuuuut!» Je suis heureuse que le cannabis ait donné à J. l'opportunité de sortir et de goûter à la vie. Si parfois elle lui donne des coups, elle lui offre aussi des fleurs.
Je n'estime pas que la marijuana soit un remède miracle contre l'autisme. Mais en tant qu'herboriste amateur, je considère que c'est une merveilleuse plante, tout à fait sûre, qui permet à J. de participer plus pleinement à la vie sans risquer les dangers, et les effets secondaires parfois permanents, des médicaments pharmaceutiques. Maintenant que nous avons trouvé la bonne dose et la bonne souche («White Russian» -très prisée des malades atteints de cancer, qui ont aussi besoin qu'on les soulage d'une souffrance extrême). Libéré de la douleur, J. peut aller à l'école et apprendre. Et son comportement violent ne le condamnera pas à finir à l'hôpital psychiatrique pour enfants local -scénario trop commun parmi ses pairs.
Une amie dont on avait diagnostiqué l'enfant comme autiste mais qui ne l'est plus (il va à l'école au même niveau que sa classe d'âge et a subi trois tests de développement montrant qu'il ne mérite plus ce diagnostic), a voulu s'embarquer dans une sorte de mission karmique pour aider d'autres enfants. Au bout de longues recherches, elle est tombée sur le cannabis exactement de la même manière que moi. «Cela a des implications spectaculaires pour la communauté des autistes» s'émerveille-t-elle. Nous avons des photos de J. il y a un an, à l'époque où il se labourait le visage avec les ongles. Aucun des experts consultés n'avait la moindre piste sur le moyen de l'en empêcher. Ce petit enfant au visage épouvantablement sanglant et couvert de croûtes nous apparaît dorénavant comme un visiteur venu d'une autre planète. Le J. que nous connaissons n'a pas du tout l'air défoncé. Il a juste l'air d'un petit garçon heureux.
L'expérience doejang
Et le cannabis peut encore nous surprendre. Nous craignions que ses «grignotages» n'aggravent les excès alimentaires de J., réaction à ses crampes d'estomac. En fait, la marijuana semble avoir modulé ces symptômes. Peut-être interprétait-il les douleurs de son estomac comme des signaux de faim. Certes, J. peut encore devenir surexcité s'il aime trop un aliment, et parfois, quand il mange, mon mari et moi quittons la pièce pour réduire au minimum ses distractions. L'autre jour, nous avons osé expérimenter le «doenjang», une soupe de tofu fermenté qu'il adorait quand il était bébé. La dernière fois que nous l'avions tenté, il y a un an, il avait envoyé son bol s'écraser contre le carrelage du mur (oh, cette soupe doenjang puante et son million de manières de tout salir...)
Nous avons laissé J. tout seul dans la cuisine devant son bol fumant et nous sommes allés dans la pièce d'à côté. Nous avons attendu. Nous avons entendu le choc de la cuillère contre le bol. Des shlurps satisfaits. Puis un bruit étrange que nous n'arrivions pas à identifier: chkka chkka chkkka bsssshhht doinnng! Nous sommes revenus dans la cuisine, prêts à voir les murs repeints au doenjang. Tout était propre. Le bol et la cuillère avaient disparu.
J. avait mis sa vaisselle dans l'évier, l'avait rincée et rangée dans le lave-vaisselle -ce que nous ne lui avions jamais appris à faire, bien qu'il avait dû nous voir le faire un million de fois. En quatre mois, cet enfant qui ne savait pas s'alimenter seul était devenu capable de se nourrir et de débarrasser la table. Ce bol, pas parfaitement rincé mais presque, a été l'une des visions les plus douces de ma vie de mère. Et j'espère bien qu'il y en aura d'autres.
Marie Myung-Ok Lee
Traduit par Bérengère Viennot
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