Cannabis: des plants contre la crise en Espagne

Cannabis: des plants contre la crise en Espagne
Louer des terres pour cultiver du cannabis rapporterait au village de Rasquera 550 000 euros par an. Le village, surendetté, pourrait rééquilibrer ses comptes en deux ans.
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La culture de la marijuana comme remède à la crise? C'est l'idée défendue par le maire d'une petite commune, près de Barcelone. Il appelle les habitants à voter pour ou contre son projet. 

Tu imagines le village entouré de champs de cannabis? -Mais non, tout sera sous serres, on ne verra rien!" C'est l'heure des blagues d'apéritif à Rasquera, village replié dans les montagnes, dans le sud de la Catalogne. Au Bar de Baix, sur la place, les conversations tournent autour d'un seul sujet, depuis des semaines: le projet détonnant du maire. 
L'élu, Bernat Pelissa, propose en effet à ses concitoyens d'élargir les activités de la commune en louant une partie des terres agricoles à une association de consommateurs de cannabis de Barcelone. Son idée a pris tout le monde de court et a lancé une polémique sans précédent. A tel point que le 10 avril, les 960 habitants de Rasquera seront appelés en consultation populaire, pour donner ou non leur aval. 
"C'est un projet réfléchi et argumenté, pas une frivolité, affirme l'édile. Il s'agit d'un plan anticrise qui va nous permettre d'éponger les dettes et de relancer l'activité économique." Une aubaine car, depuis des mois, Rasquera est sans le sou. L'équipe municipale a fait et refait ses comptes. Plus rien en caisse. Pas de quoi payer les salaires en retard. Le village a accumulé 1,3 million d'euros de dettes, sans aucune chance de remonter la pente ni d'obtenir de nouvelles subventions de la part de la région de Catalogne, immergée dans une intense politique d'austérité.  
Contre 550 000 euros deloyer par an, l'association pourra cultiver ses plants de marijuana sur la commune 
La solution, inattendue, est venue en août avec la visite d'une délégation d'Abcda, Association barcelonaise d'autoconsommation de cannabis, à la recherche de terrains pour cultiver et alimenter en joints ses 5 000 adhérents en toute légalité. Elle a fait sa proposition au maire: à raison d'un loyer annuel de 550 000 euros, l'association pourra cultiver ses plants de marijuana, tandis que les comptes municipaux seront rééquilibrés en deux ans. 
50 emplois à la clé
Devant le scandale soulevé par le projet, Bernat Pelissa, étiqueté ERC, Gauche républicaine de Catalogne, démissionne de son parti pour éviter de le mêler à la polémique, mais ne lâche pas l'affaire. "L'Association barcelonaise cannabique, qui se définit comme un club "ludico-thérapeutique", a un statut légal, précise-t-il. Elle ne revend pas et ne trafique pas. Son activité se centre exclusivement sur la production pour la consommation personnelle de ses membres, deux activités dépénalisées par la loi espagnole. Le projet sera strictement encadré par la mairie et permettra la création de 50 emplois." Le maire prévoit aussi le développement d'un pôle de recherche sur le cannabis en collaboration avec des équipes universitaires. 
La perspective de transformer Rasquera en nouvelle Jamaïque n'en finit plus de faire causer dans les rues du village. D'autant que le bourg accueille régulièrement des écoles en classe verte et des colonies de vacances. "Je suis contre! Je ne veux pas voir le nom de Rasquera associé au monde de la drogue", assène une ménagère en sortant de la boucherie. "Si c'était si bien que ça, ils l'auraient fait ailleurs", renchérit une autre. "Mais ces choses-là, c'est difficile à dire en public, dans un village aussi petit que le nôtre", glissent-elles en filant, panier sous le bras. 
Ici, ou bien on trouve notre voie, ou bien on fait nos valises 
Tandis que les habitants hostiles lâchent leurs doutes à mi-voix sur un pas de porte, les supporters du projet rassemblent leurs forces dans leur QG quasi officiel du Bar de Baix. L'estaminet n'a pas tardé à diffuser des tee-shirts "I kiffe Rasquera" ornés d'une grande feuille de cannabis. "Ici, oui, on fume de la marijuana. Mais ni plus ni moins qu'ailleurs dans la région, assure Ramon. Et le projet ne va rien changer à ça, puisque le cannabis produit ne sera ni vendu ni consommé ici, il partira directement vers Barcelone." Lluis, le garagiste du village, se dit ravi de ce nouveau débouché pour l'économie locale. "De quoi va-t-on vivre, ici? Des pastissets?", interroge le mécano en évoquant la grande spécialité du coin, ces petits gâteaux parfumés à l'anis vendus dans toutes les pâtisseries, mais qui ne procurent plus que quelques emplois au village. "Ils sont bien bons, mais ne font pas vivre tout le monde. Et les plantations d'oliviers ou de cerisiers ne sont plus que symboliques, juste un hobby pour occuper mes dimanches. Alors, ici, ou bien on trouve notre voie, ou bien on fait nos valises." 
Quant au mauvais exemple donné aux enfants avec ces cultures de cannabis sous label municipal, Joan, 47 ans, kinésithérapeute à l'hôpital de la ville voisine, n'y croit pas: "A la maison, j'ai du rhum, du whisky et du gin, et mon fils de 19 ans n'est pas alcoolique pour autant, il est aujourd'hui étudiant en filière sportive à la faculté de Tarragone." 
Tout ça, c'est bon pour le tourisme et le village, ça va profiter à tout le monde 
Les clients du Bar de Baix diffusent des tee-shirts ornés d'une grande feuille de cannabis.
Les clients du Bar de Baix diffusent des tee-shirts ornés d'une grande feuille de cannabis.
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Au restaurant Almadroch de la Seu, les journalistes et curieux qui affluent depuis des semaines font tourner la cuisine. Joan, 32 ans, a repris l'affaire l'an dernier avec sa femme; il arbore fièrement le tee-shirt de Rasquera en servant les clients. "Tout ça, c'est bon pour le tourisme et le village, ça va profiter à tout le monde", dit-il avec un large sourire. Un peu plus loin, dans les locaux de la mairie, perchée sur les hauteurs de Rasquera, des prospectus présentent le "plan d'action municipale anticrise 2012 de dynamisation économique et sociale de la commune de Rasquera", le nom officiel de l'initiative.  
Sur les murs sont affichées des grandes photos de la célébrité locale: la cabra blanca, la chèvre blanche de Rasquera. "La seule espèce autochtone de Catalogne", explique Roman Borras, conseiller municipal de 25 ans. Fils de berger parti faire ses études de biologie à Barcelone avant de revenir s'installer au village, il vante le programme, "un projet solide, pas une lubie sortie de la tête de quatre hippies. Et qu'on ne vienne pas nous parler de risques pour la santé publique, quand d'autres villages alentour ont opté pour le nucléaire ou l'industrie chimique. Ici, nous n'avons ni aérogénérateurs, ni centrale, ni cimetière nucléaire."  
Scepticisme de l'opposition
Les détracteurs voient un projet "improvisé, contradictoire et mal ficelé", à l'instar de Bernard Farnos, leader de l'opposition municipale et membre de CiU, la coalition nationaliste de centre droit. "Tout est flou, tant sur le plan légal que sur le plan administratif ou économique", affirme l'élu local. Sans entrer dans le débat sur la consommation des drogues douces, il s'interroge: "A quoi va servir l'argent? A financer des emplois? A rembourser la dette ou à lancer un centre de recherche? Avec un loyer d'environ 45 000 euros par mois, on ne peut pas tout faire." 
Si les responsables de police et de sécurité de Catalogne ont eux aussi manifesté leur scepticisme sur la légalité du projet -le contraire eût été surprenant-, le maire, lui, reçoit appel sur appel: d'autres villages voudraient en savoir plus, des associations viendraient aussi planter... Il court de rendez-vous à Amsterdam en réunion avec des avocats anglais, ne sait plus où donner de la tête, parle et argumente. Mais, le 10 avril, ce sont les 960 habitants de Rasquera qui décideront. Si 75% des votants disent oui au projet, les plantations municipales de cannabis verront le jour à Rasquera. Et le téléphone risque de sonner encore un bon moment.


Durée : 2:44



Source:L'express

1 commentaires:

surtout se passage :

"Quant au mauvais exemple donné aux enfants avec ces cultures de cannabis sous label municipal, Joan, 47 ans, kinésithérapeute à l'hôpital de la ville voisine, n'y croit pas: "A la maison, j'ai du rhum, du whisky et du gin, et mon fils de 19 ans n'est pas alcoolique pour autant, il est aujourd'hui étudiant en filière sportive à la faculté de Tarragone."

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