Cannabis : l’Espagne prend le relais de la Hollande


Les clubs sociaux, ces associations de consommateurs de cannabis nées dans les années 2000, se multiplient en Espagne, même si le flou juridique demeure. Alors que les Pays-Bas interdisent leurs coffee shops aux étrangers, les fumeurs de hash européens se tournent de plus en plus vers la sociabilité cannabique à l’espagnole. A l'opposé, en France, François Hollande ne veut “pas donner le moindre signal de renoncement à une dissuasion de cette consommation de cannabis".

“Dis-moi que ce n’est pas le plus beau jour de ta vie ?” Début 2011, Hernan vient de signer le contrat pour faire partie de l’Association barcelonaise cannabique d’auto-consommation (ABCDA). Pour 10 euros l’inscription annuelle, ce jeune Colombien étudiant à Barcelone n’aura jamais à errer dans une ruelle sombre et étroite pour acheter ses 3 grammes de marijuana à un inconnu, sans savoir ce qu’on lui vend. Il lui suffit se rendre dans le petit local de l’ABCDA situé à la Barceloneta, quartier de bord de mer, de choisir la variété qu’il veut fumer, de payer 20 euros les 3 grammes et il peut repartir le sourire aux lèvres, sans le mauvais goût de l’illégalité.
J’ai toujours assumé fumer des joints, même si mes parents étaient plutôt contre. Alors quand je suis arrivé à Barcelone et que j’ai découvert l’association, je me suis tout de suite senti dans un pays progressiste",
témoigne l’étudiant en relations internationales.

Du hasch contre la dette

Le système des clubs sociaux, permet aux Espagnols de se réunir en association pour, sous certaines conditions, cultiver et consommer librement du cannabis, une drogue douce dépénalisée depuis 1974 dans le pays.
L'histoire du village catalan de Rasquera, dont 56% des 940 habitants ont voté "oui" au référendum permettant à l’association de cultiver la drogue douce sur ses terres, pour un investissement de 1 336 000 euros sur deux ans, a remis en avant cette légalisation contrôlée. Vue d’une France où François Hollande, vient d’annoncer qu’il ne veut “pas donner le moindre signal de renoncement à une dissuasion par rapport à cette consommation de cannabis", l’initiative ne peut que rendre jaloux les fumeurs français…
Voir inspirer les politiques, car l’objectif de la municipalité est de réduire sa dette publique.

Provocation

“Nous n’avons rien à voir avec Rasquera, nous ne supportons pas l’initiative qui a tout d’une provocation" s'insurge pourtant Martin Barriuso, président de la Fédération des Associations de Cannabis (FAC) en Espagne. Militant de la première heure du droit des consommateurs de cannabis, comme le rappellent Les Inrocks , il est lui-même président d’un des clubs sociaux pionniers en Espagne, le Pannagh, situé à Bilbao.
Mais le problème, c’est que de nombreux nouveaux clubs se créent actuellement en Catalogne, sans conserver l’esprit des associations de consommateurs d’origine défendu par la FAC :
Les clubs sociaux sont plus petits que l’ABCDA qui compte plusieurs milliers de membres, ils n’ont pas de but lucratif et respectent un code de bonne conduite. Au Pays Basque, nous nous sommes mobilisés auprès des autorités publiques pour faire en sorte que les associations de consommateurs soient légalisées et leur statut reconnu. Une commission parlementaire se penche actuellement sur la question, après que le gouvernement régional d’Andalousie a commandé un rapport sur le fonctionnement des clubs au début des années 2000".
Le rapport en question, rédigé par Juan Muñoz, professeur de droit pénal, et la juriste Susana Soto, n’a jamais été publié. Mais un nouveau rapport est sur les rails et pourrait permettre de combler un vide juridique qui angoisse Martin.

40 ans de flou juridique

Et ce n’est pas l’effet secondaire du pétard, mais les nombreuses gardes à vues et saisies qu’il a dû subir en raison du flou juridique qui continue d’entourer les associations de consommateurs en Espagne.
La consommation de cannabis est dépénalisé depuis 1974, mais le Code Pénal continue de punir sévèrement son trafic. Le flou réside entre ce qui est considéré comme de la culture pour consommation propre et ce qui est considéré comme du trafic".
En 2005, après avoir été mis en prison, la justice lui donne raison et classe l’affaire. "A partir de là, les clubs sociaux ont commencé à se multiplier en Espagne, car même si 90% des clubs du Pays Basque ont été saisies par la police, elles savent que ce qu’elles font ne constitue pas un délit".

Des coffee shops déguisés 

Ce qui nous ramène à Rasquera. Si les clubs sociaux membres de la FAC sont sur le point d’être légalisés au Pays Basque, Martin craint que les autorités ne voient l’initiative de Rasquera comme une provocation et ne mettent tous les clubs dans le même sac.  
La marge de manœuvre légale est très limitée et ils jouent avec le feu. Ce sont des clubs commerciaux ! Ils sont conseillés par un cabinet d’avocats qui leur dit que tout est légal et un jour ils vont avoir des problèmes. Le risque, c’est que ça retombe sur tous les clubs alors que la FAC fait justement en sorte de rentrer dans le rang. Les jeunes de l’ABCDA sont sympas comme tout, mais ils brûlent les étapes. Ils sont en train de faire un coffee shop sans en donner le nom",
regrette Martin.
Fin mars, l’ABCDA a été perquisitionnée, des responsables arrêtés et la drogue saisie. Puis tout est rentré dans l’ordre, la drogue et l’argent ont été rendus. Reste à voir si la fougue des membres de l’ABCDA payera ou, comme le craint Martin Barriuso, amènera les autorités à modifier le Code Pénal dans le sens d’une restriction des clubs sociaux, jusque-là tolérés dans la pratique.
Ce qui constituerait un paradoxe. Car au même moment, les Pays-Bas, après avoir interdit l’accès de ses "coffee shops" aux étrangers, s’apprêtent à transformer ses coffee shops en clubs sociaux. Le 1er mai, rappelle Le Point ,
les 670 coffee shops néerlandais deviendront des 'clubs fermés' comptant au maximum 2.000 membres, domiciliés aux Pays-Bas et âgés de plus de 18 ans ".
De quoi faire réfléchir les autorités espagnoles… et européennes.

Source:MyEurop

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